Voici le témoignage d'Emilienne qui était hier matin avec les familles du gymnase Grignard qui avaient été jetées dans la rue.
Elle est peintre et animatrice de l'atelier peinture de C.L.A.S.S.E.S. du mercredi après midi sur le squat Lavirotte
Mercredi 29 mai 2013 : expulsions des Roms…
Gymnase Grignard : tout le monde dehors, mais certains plus dehors que les autres !
Il était midi…D’un commun accord, quelques instants plus tôt, Henri, Claire, Hugo et moi décidions de partir, après avoir salué les familles connues et leur avoir à nouveau assuré que nous étions tristes, que nous étions en colère, que nous pensions à eux, que nous n’avions pas de solution…
Et nous sommes partis…
Et nous les avons laissés, là sur le trottoir devant les grilles fermées du gymnase…
Nous n’avions rien à répondre aux enfants qui, inquiets, nous demandaient où ils allaient dormir ce soir.
Rien à répondre à Rodiana qui me disait que, elle et sa famille, dormiraient dans la voiture cette nuit.
Rien à répondre à Maria qui me racontait comment les « autres » étaient partis en bus, puis la famille du bébé, partie aussi…Mais pas eux. Pour eux, il n’y avait « pas de solution »…
Je n’avais rien à proposer, personne à qui téléphoner, rien à apporter à tous ces gens si perdus.
Je suis allée saluer Samuela et Laura de l’autre côté de la rue. La sandale de Samuela était déjà cassée, et Laura était en tongues ! Idéal quand il pleut comme en ce moment…
Personne n’avait de vêtements chauds ni imperméables…Comment faire quand il faut vivre dans la rue, dormir dans la rue, sous un pont ?
Les pères essayaient de trouver des contacts au téléphone.
Henri, et d’autres du quartier faisaient de même…
Pas un journaliste à l’horizon.
Les enfants profitaient de ce moment pour manger des bonbons, les petits jouaient, couraient, tombaient, riaient, pleuraient…
J’ai vu une mère changer son bébé sur le trottoir sans pouvoir vraiment le nettoyer…
Je les ai vus manger du pain sans rien dessus pour « se caler » et aussi grignoter des graines de tournesol…
J’ai vu les quelques paquets qu’ils emportaient, entassés dans une sorte de caddie…
Maria assise sur une valise ne jouait pas…Elle regardait.
J’ai vu des mères assises sur le trottoir donner le sein à leur bébé en le protégeant d’une couverture. Certaines femmes s’étaient mises un peu en retrait et discutaient.
J’ai croisé le regard de la maman de Georges (je crois que c’était elle) si triste, si triste…
J’ai vu leurs visages fatigués.
J’ai tenté d’imaginer ce que l’on ressent lorsque l’on n’est pas choisiRoms, alors que l’autre, à côté l’est…Pourquoi ? Comment ?
J’ai tenté d’imaginer ce qu’ils ont ressenti lorsque les grilles du gymnase se sont refermées, les abandonnant sur le trottoir…
60 personnes à qui on propose une aide, un logement. C’est bien…
Mais 110 personnes (dont de nombreux enfants) qui restent dans la rue, c’est terrible…
C’est la politique du « toi, oui » « toi, non » !
Pendant que j’écris ces quelques lignes il pleut averse : où sont-ils, là, tout de suite ?
Ont-ils pu se protéger de cette averse ? Ont-ils trouvé un abri pour ce soir ?
Nous n’avons rien pu faire pour eux, même pas le leur expliquer. On les a seulement laissés, là, sur le trottoir. J’ai le sentiment de les avoir un peu trahis, de n’être pas allé chercher bien loin pour trouver de l’aide, de les avoir laissés tomber en quelque sorte.
C’est un peu long et brouillon tout cela. Mais j’avais besoin de le raconter. C’est plus discret que prendre une photo… Mais je pense que ça rend l’ambiance.
J’espère qu’on se reverra un jour, dans la rue ou ailleurs, au cours d’un autre atelier peinture. Je les remercie de m’avoir accueillie parmi eux, de l’enthousiasme des enfants, J’espère que les jours prochains n’émousseront pas leur bonheur de vivre.
Emilienne