Le rapport « Refondons l’École de la République », qui vient de paraître, affiche dans son titre de grandes ambitions. La volonté gouvernementale de redonner à l’école les moyens matériels d’accomplir sa mission exige des acteurs de l’éducation une réflexion sur la bonne utilisation de ces moyens, notent à juste titre les auteurs du rapport. Si l’on partage évidemment le constat sévère de la situation dressé par le rapport et la volonté de lutter contre toutes les inégalités, on est cependant très déçu par les solutions et pistes proposées, qui relèvent trop souvent du recyclage de poncifs ayant largement fait la preuve de leur inefficacité, voire de leur nocivité, alors que des éléments essentiels sont totalement omis.
Les auteurs affirment que « La posture encyclopédiste, qui a tant marqué la culture scolaire française traditionnelle, est, dès lors, dépassée. Tout autant que d’apprendre, l’objectif est désormais d’apprendre à apprendre. » Voilà une idée qui n’a rien d’original, puisqu’elle était déjà au cœur de la politique menée par l’ancien ministre Claude Allègre, autrefois socialiste : la culture scolaire serait marquée par la recherche de l’érudition, au détriment de la recherche autonome et de la réflexion personnelle. Il faut quand même répondre qu’il est illusoire de vouloir apprendre par soi-même et de construire sa réflexion propre sans avoir accumulé de solides connaissances. Comment effectuer une recherche sur internet, lire un article ou un essai, de façon autonome et critique sans posséder des repères fournis par une culture personnelle déjà structurée ? Les auteurs affirment le rôle central des disciplines dans la transmission des savoirs, mais toute leur conception du système éducatif semble aller dans le sens inverse.
On peut s’étonner de la faible place accordée par les rédacteurs à la maîtrise du français oral et surtout écrit, si essentielle pour comprendre la pensée des autres, élaborer la sienne et construire sa sensibilité esthétique. La mise en place de cours de rattrapage dans les universités et de stages d’orthographe dans les entreprises illustre l’urgence de la situation.
Il faut être aveugle pour ne pas voir que la situation d’échec dans laquelle se trouvent de nombreux élèves trouve son origine dans la baisse constante des horaires de plusieurs disciplines (français, langues vivantes…), mais jamais le rapport n’évoque la question. Cette baisse des horaires est pourtant responsable de graves lacunes dans la culture commune des élèves. Les auteurs mettent régulièrement en avant la nécessité de limiter le temps passé en cours et aux devoirs scolaires, sans jamais se poser la question des savoirs à acquérir à l’école, comme si on pouvait réduire ce temps d’apprentissage à une lourde contrainte à alléger absolument. Le rapport développe ainsi une image négative ou pessimiste de l'école, qui paradoxalement nourrit les inégalités qu'il prétend combattre : les familles averties compensent à la maison le déficit d'école, ce que les milieux défavorisés ne peuvent faire, ni culturellement ni financièrement. Moins d'école, c'est toujours plus d'élitisme.
Les rédacteurs du rapport l’avouent d’eux-mêmes : ils accordent peu de place au lycée, ne disent rien du baccalauréat. Sans doute le sujet est-il trop polémique, mais on comprend que la « reconquête du mois de juin » s’arrangerait bien du passage au contrôle continu, lequel donnerait libre cours aux inégalités entre établissements... Or depuis trois ans que s’applique la calamiteuse réforme des lycées, on assiste à la fragilisation des disciplines réduites à peau de chagrin, à un massacre des programmes devenus délirants (histoire, sciences économiques et sociales…) et à la mise en danger de certaines filières (littéraire, technologiques…) : un tel échec devrait conduire à une abrogation de cette réforme, à une restitution des horaires aux enseignements disciplinaires et servir de leçon pour la réforme de l’ensemble du système. L’échec massif dans les premières années du supérieur en diminuerait d’autant.
Le rapport affiche la volonté de se dégager du modèle éducatif libéral et utilitariste de certains pays (sans dire lesquels), tout en essayant de sauver la notion, issue du monde de l’entreprise, de compétences (et le livret qui les valide au collège), notion qui « donne sens aux apprentissages en liant savoir et action, savoir et résolution de problèmes, que ce soit dans le futur cadre professionnel ou dans la vie quotidienne » : au-delà de la contradiction, on regrette que pour ces auteurs, le savoir ne prenne sens qu’en liaison avec la vie quotidienne ou professionnelle.
Le rapport préconise régulièrement l’instauration de relations « horizontales » (par opposition à la relation verticale entre l’élève et le professeur), notamment pour créer un climat plus serein à l’école et favoriser l’adhésion aux valeurs républicaines. On lit ainsi « Dans l’enceinte de l’École, cela doit notamment se traduire par la multiplication des dispositifs permettant de créer des relations interpersonnelles horizontales entre tous les acteurs de l’École (…) C’est par ce type de méthodes, bien davantage que par des cours magistraux, que l’École peut, par exemple, lutter contre les stéréotypes racistes, sexistes ou homophobes et apprendre aux élèves à refuser tous les types de discrimination. » Au-delà de l’opposition caricaturale présentée ici, il faut au contraire affirmer que c’est justement parce que le professeur fait découvrir aux élèves, et leur transmet par les méthodes qu’il juge les plus appropriées, des références et des modes de pensée inhabituels, qu’il peut espérer les faire mûrir en les rendant conscients de leurs préjugés, et en leur permettant de forger leur propre conscience critique, préalable à l’exercice du jugement qui doit guider les choix de vie.
Le rapport constate d’ailleurs que malgré les tentatives de réforme « l’école est restée dans l’ensemble fidèle à une pédagogie frontale traditionnelle », ce qui ne correspond absolument pas à la réalité, beaucoup plus diversifiée et mouvante, des pratiques enseignantes. Il prône la mise en place « d’autres pédagogies », fondées par exemple sur le travail en petits groupes, l’évaluation exclusivement valorisante pour donner confiance au rebours de la note chiffrée jugée traumatisante et le recours aux nouvelles technologies. Ces « pédagogies innovantes » et l’utilisation du numérique (comme si lui aussi n’était pas bien souvent frontal !) sont invoquées à plusieurs reprises dans le rapport comme remède à tous les maux : emplois du temps et cartables trop lourds, décrochage scolaire, problèmes de comportement. On peut y voir de la naïveté, mais aussi du cynisme : il est plus facile de déplorer le conservatisme des méthodes (antienne connue et réutilisable à volonté) que d’offrir un cadre de travail décent aux élèves et aux professeurs, que ce soit sur le plan des moyens ou du respect des règles de comportement.
Le rapport s’attaque donc logiquement au recrutement et à la formation des professeurs (pardon, des enseignants : le terme « professeur » semble banni), afin de faire entrer « la refondation dans les classes et dans les esprits ». On voit là une volonté de reprise en main pédagogique et idéologique des personnels de l’Education Nationale : cette idée n’est pas neuve, puisque les partisans des pédagogies innovantes déplorent régulièrement la culture trop universitaire des professeurs.
Face à cela, il faut défendre la liberté pédagogique des professeurs, qui doivent pouvoir utiliser l’approche la plus efficace afin d’instruire les élèves (approche qui peut évoluer en fonction de la classe ou du thème du cours et qui fait l’objet d’une réflexion constante) ; c’est cette efficacité que doivent évaluer les inspecteurs, et toute condamnation a priori de « la pédagogie frontale traditionnelle » ou des « pédagogies innovantes » est aberrante.
A l’heure où l’Education Nationale connaît une grave crise de recrutement, il faut au contraire faire confiance aux étudiants motivés qui choisissent ce métier pour transmettre des connaissances et leur donner les moyens de se former et d’exercer leur métier tel qu’ils le conçoivent au lieu de leur imposer un formatage qui ne peut produire que des échecs.
De temps à autre les auteurs rappellent la nécessité de consulter aussi les enseignants, tout en ne tenant visiblement aucun compte, tout au long du texte, de l’expérience et des revendications les plus constantes de ces mêmes enseignants : au moment où le métier peine à attirer les candidats, on ne peut que regretter que l’on fasse si peu de cas de l’expertise de ces acteurs essentiels de l’école.
Estelle Manceau, professeur de lettres classiques, membre du collectif Sauver les Lettres, www.sauv.net