Dimanche 22 janvier, au Bourget, François Hollande a tenu son meeting devant des milliers de militants enthousiastes, devant des centaines de journalistes.
Hier, à la Maison des métallos, dans le 11e arrondissement de Paris, le candidat socialiste à la présidentielle a présenté ses engagements pour la France. Les journalistes étaient aussi au rendez-vous, près de quatre cents.
Découvrant le projet présidentiel de François Hollande pour 2012, d'aucuns de mes confrères dont Laurent Mauduit de Médiapart, vraisemblablement à raison, ont jugé que ce projet-là, comprenant beaucoup des mesures courageuses ou progressistes, manquait toutefois, « de souffle, singulièrement dans son volet économique et social ! ».
Mais pas uniquement...
Alors que la crise qui frappe les médias n'a pas de précédent, quasi aucune mesure fondamentale dans ce programme pour préserver l'indépendance des journalistes, donc préserver par cette voie la démocratie.
Seuls trois engagements notés, importants certes, mais largement insuffisants pour que le journalisme rime de nouveau avec information, qualité, pluralisme. François Hollande s'engage à ce que la nomination des responsables des chaînes publiques de télévision et de radio dépende d'une autorité indépendante, laquelle ? Rien n'est dit. Le candidat affirme qu'il envisage de préserver l'indépendance de l'AFP et de renforcer la loi sur la protection des sources, en soulignant que plusieurs syndicats de journalistes ont déjà revendiquer d'abroger cette loi. Cette loi promulguée en janvier 2010, a été entachée d’hypocrisie après l’affaire « Woerth-Bettencourt ». La présidence de la République actuelle à l'initiative du texte, cherchant à protéger son ministre sur ce qui s’apparente aujourd’hui à un scandale d’état, a activé une enquête. Pour ce faire, le pouvoir élyséen s’est appuyé, via la DGPN (Direction générale de la Police nationale), sur les services du contre-espionnage, en l’occurrence la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur). L’objectif assigné étant la neutralisation de ou des informateur(s) de notre confrère du Monde. Rappelons que le journal n’a pas été espionné. Ce sont les communications téléphoniques d’un haut fonctionnaire qui ont été transmises à la DCRI par un opérateur de télécommunications. Si comme l'a écrit le Monde, se procurer la fadette, les relevés téléphoniques du magistrat qui était en contact avec le journaliste du journal, est bien une « atteinte indirecte » au secret des sources du journaliste, cette loi du 4 janvier 2010 ne prévoit aucune incrimination pénale pour sanctionner cette atteinte. Si bien que cette prétendue loi de protection des sources ne peut pas servir à poursuivre ni à faire condamner ceux qui s’attaquent aux sources de la presse.
Sinon à porter plainte avec d’autres articles du code pénal qui existaient déjà avant cette loi et dont l’efficacité n’a jamais été prouvée. Par ailleurs, un juge d’instruction qui essaierait d’enquêter trouvera de toute façon porte close ! Car la Loi de programmation militaire de novembre 2008 étend le "secret défense" à la Direction centrale du renseignement intérieur …Et c’est cette dernière qui s’est chargée de neutraliser l’informateur du Monde. Ainsi, dans sa « grande générosité » avec la presse, Nicolas Sarkozy est parvenu à un double verrouillage tout à fait légal, mais lourd de conséquences pour le journalisme d’investigation ! Cette loi sur la protection des sources des journalistes est pernicieuse. Elle nuit gravement à la liberté de la presse, donc à l’exercice de la démocratie.
En conséquence, c'est pourquoi aujourd'hui de nombreux journalistes et organisations syndicales demandent son abrogation et non pas comme le prévoit François Hollande un « renforcement » de la loi. Une loi garantissant l'accès à une information libre devra être étudiée.
En 2010, pour la première fois depuis la Libération, le nombre de journalistes titulaires de la carte de presse a diminué. Pas un jour, pas une semaine, sans qu'un titre ne vienne s'ajouter à l'interminable liste des rédactions frappées par les suppressions d'emploi (Parisien, l'Expansion, RFI, Centre-Presse, Midi-Libre, L'Indépendant, PTV Prisma Presse, Lagardère...). Sans parler de la fermeture historique de France Soir, et dans quelques jours de la Tribune, journal économique.
Rien n' a été entrepris par l'Etat pour sauver ces titres de la presse quotidienne nationale, rien n'a été entrepris pour défendre en France le pluralisme. Dans quelques semaines, le lecteur français ne pourra s'informer qu'à travers le seul journal les Echos, d'orientation libérale, dont le propriétaire n'est autre que Bernard Arnault, ami du président Sarkozy.
Quelles que soient les formes de presse, les rédactions se vident aux rythmes des réorganisations, de plans d'adaptation, de concentration des titres.
On nous dit que c'est la faute à la crise : la fuite du lectorat, le développement numérique, multiplicité des supports...
Ne faut-il pas y voir le fruit des politiques strictement financières et des errements spéculatifs des grands groupes qui contrôlent les médias au bénéfice quasi exclusif des actionnaires ? Ne faut-il pas y voir là le prétexte d'une détérioration sans précédent des conditions du travail des journalistes, soumis comme jamais aux impératifs de la productivité, devenus polyvalents, déqualifiés, déclassés, précarisés ?
Nicolas Sarkozy durant son quinquennat n'a pas cessé de prendre toutes les mesures pour favoriser les financiers à construire des groupes multimédias à taille internationale mais déconnectés de toutes exigences journalistiques qui contribuent à renforcer l'information, donc la démocratie française.
A la vue des insuffisances du projet Hollande sur les problématiques de la presse la question se pose pour de nombreux confrères journalistes, syndicalistes, citoyens français : le candidat socialiste à la présidentielle sera-il s'opposer réellement comme il a dit au Bourget, à ces financiers ?
François Hollande, s'il devient Président, sera-t-il contrer la sentence que Nicolas Sarkozy avait rendu en 2008 lors des états généraux de la presse en déclarant « la meilleure façon de préserver la presse, c'est qu'elle devienne rentable ? ».
Il y a une presse qui n'a pas vocation à être rentable. Mépriser cette donne et laisser les médias entre les seules mains des financiers, des gestionnaires, qui pour autant bénéficient des aides de l'Etat, sans qu'aucun contrôle ne soit réalisé, est une atteinte violente à un pilier de la démocratie. Si la survie des organes de presse n'est liée qu'à l'unique critère de rentabilité, c'est laisser le contrôle de l'information à une catégorie de la population qui détient l'argent et le pourvoir.
C'est une atteinte au pluralisme, détruisant ainsi le cadre de la Libération : une presse à l'abri des forces de l'argent conçue comme garantie de la libre circulation des idées et des opinions, des moyens industriels conséquents, des emplois en nombre suffisants, une main d'œuvre qualifié au service de la qualité.
François Hollande veut tourner la page Sarkozy. Beaucoup de Français aussi. Mais le candidat socialiste doit la tourner complètement.
Des chapitres entiers de la vie sociale, économique et démocratique françaises, détruits par la politique néolibérale décomplexée de Nicolas Sarkozy et l'UMP, doivent être réécrits.
La question de la pluralité et de l'information en est un. Mais François Hollande a-t-il pesé toute la gravité du problème auquel est confronté la plupart des journalistes de « base », ceux qui ont les revenus aujourd'hui relatifs à la classe ouvrière ? Les soutiers de l’information sont nombreux. Ses fréquentations et celles de quelques membres de l'équipe de campagne avec des journalistes établis voire vedettes, leurs permettent-elles de saisir toute la gravité de la situation à laquelle sont confrontés des milliers de journalistes ? Il est très difficile en effet à un représentant patenté de la presse bourgeoise de rendre compte de la situation des confrères moins favorisés ou précaires.
L'information, ses emplois, son avenir aurait dû faire l'objet dans ce programme d'engagements plus forts de la part de François Hollande. Pourquoi ne pas annocer sa volonté de défaire les états généraux de la Presse écrite, ou sa volonté de procéder à un débat parlementaire public, menant à la rédaction d'une loi fondamentale sur l'information. François Hollande sera-t-il à travers sa politique affirmer son soutien à l'existence du pluralisme et d'une presse indépendante ? Rien qui ne s'apparente à des engagements forts n'a été annoncé hier à la Maison des métallos.
L'indépendance et la liberté d'un journaliste c'est aussi et avant tout son indépendance matérielle. Où est la liberté quand on ne sait jamais de quoi demain sera fait et qu'on ne peut pas vivre de son métier ? Le pluralisme doit devenir une question éminemment politique et s'il veut la défendre, François Hollande devra comme il le prétend combattre certaines méthodes des princes de la finance.