Le 21 décembre 2020, un peu avant noël, la blogueuse « My Better Self » a vu un de ses posts être massivement partagé pour une collecte de serviettes hygiéniques afin de lutter contre la précarité menstruelle. Ce post est très rapidement devenu viral sur Instagram. C’était un partenariat, c’est-à-dire une collaboration, avec la mutuelle Nutuus, l’association Adsfasso et la marque Nana.
On peut découper les réactions à ce post en deux temps. Dans un premier temps, il a récolté des réactions positives et été très largement partagé sur Instagram car la blogueuse promettait de faire don d’une boite de serviettes hygiéniques pour chaque partage. Dans un second temps, le post est devenu sujet à des critiques et le rapport de certains internautes à ce post s’est renversé, dénonçant notamment l’utilisation d’une cause noble à des fins économiques. La blogueuse « MybetterSelf » qui avait d’abord remercié son audience pour les nombreux partages a par la suite dénoncé avoir subi un harcèlement sur Instagram. Parmi les critiques qu’elle a reçues, on peut retenir deux reproches principaux qui lui sont faits :
- Le besoin de plus de transparence sur la démarche qu’elle a entreprise : comment le partage d’une photo en masse sur un réseau social peut se transformer en dons ?
- Le manque de clarté sur les raisons de cette publication : quelle assurance avons-nous que les serviettes hygiéniques soient réellement distribuées et qu’il ne s’agisse pas d’un coup de pub pour redorer l’image de la marque « Nana » qui est très critiquée ces derniers temps ?
D’ici une semaine, voire moins, ce micro-scandale autour de « My Better Self » sera oublié, et d’ici un an, quand on se rappellera ce fameux noël 2020, nous n’aurons certainement pas ce débat en souvenir. Mais tout de même, cette histoire m’a interpellée et m’a laissée avec un sentiment de déjà-vu.
J’ai moi aussi partagé le post de « MyBetterSelf » en balayant les quelques doutes que j’avais autour du post et de sa réelle efficacité (doutes qui correspondaient dans l’ensemble aux critiques formulées à l’encontre du post - citées plus haut). Je n’ai pas pris le temps de m’attarder autour des mes doutes pour plusieurs raisons :
- La vitesse des réseaux sociaux : qui pousse à prendre des décisions rapides et à exprimer une opinion en écoutant son instinct, sans vraiment aller beaucoup plus loin.
- Le contexte du coronavirus : le besoin d’une bonne nouvelle, de sentir que je pouvais contribuer à une bonne action d’une manière ou d’une autre dans un contexte où tout est arrêté, même rêver.
Ce scandale autour de « MybetterSelf » et des serviettes hygiéniques m’a montré que je n’ai pas pris le temps de m’attarder sur ce post et que je l’ai partagé sans réfléchir. Je me suis rendue compte que les réseaux sociaux me présentent une réflexion déjà tracée, à laquelle je choisis de réagir, exprimant publiquement mon accord ou mon désaccord. Mon opinion se mesure avec des « j’aime » ou des « partage », et je peux aussi répondre en laissant un commentaire, mais cela termine la plupart du temps par un débat sans fin, et ça n'a donc que très peu d'impact.
Aujourd’hui je me rends compte du danger des réseaux sociaux sur ma réflexion. Les réseaux sociaux sont un espace public, dont la force est leur poids, la masse de gens qu’ils réunissent. C’est aussi un espace économique, qui a créé les nouveaux métiers de « blogueur », « créateur de contenu », « community manager », etc. Le pouvoir économique des réseaux existe dans l’influence qu’ils ont sur leurs utilisateurs. En effet, les groupes sont plus faciles à influencer que des personnes prises de manière individuelle. Quand un choix est fait de manière collective, il nous échappe toujours un peu. Je perçois la force qu’il y a dans le fait d’être nombreux sur les réseaux, car ils permettent de faire exister des questions qui sont très peu présentes dans les médias, et de se saisir de l’opinion publique. Mais je perçois aussi la faille que cela présente, car ces derniers temps, les réseaux sociaux créent des attitudes polarisées autour du « mal » ou du « bien ».
Au fond, cette attitude polarisante n’est pas tant un problème car elle correspond à un début de réflexion. Quand un doute nous habite, nos premières pensées, nos « a priori » sont classés entre le « mal » et le « bien ». D’ailleurs, en cas de décision importante à prendre on a souvent ce réflexe de lister les bons et mauvais côtés pour faire un choix. C’est seulement ensuite, à force de discussions et d’hésitations que nous nuançons notre propos, ou que nous l’affirmons. Je pense que le débat public tourne à la polarisation constante car nous n’allons pas assez loin dans nos réflexions. Je pense que nous ne nous accordons plus le temps précieux de l’hésitation. Les réseaux sociaux nous poussent et nous apprennent à prendre des décisions hâtives. Le meilleur exemple est celui de la « story » qui nous demande de ré-actualiser notre vie toutes les 24h. Internet et les réseaux sociaux ont modifié notre rapport au temps, et nous prenons de moins en moins le temps de faire les choses dans leur entièreté. Nous ne nous laissons plus le temps car nous ne sommes plus les maîtres de notre rythme : les réseaux décident de la cadence.
C’est donc parce que nous ne prenons plus le temps de bien faire les choses, que nous nous retrouvons à adopter des attitudes polarisantes. Mais pourquoi voulons-nous nous prononcer à tout prix ? Le verbe vouloir est important, cela signifie un désir de notre part d’exprimer une opinion sur un sujet qui ne nous touche parfois pas directement. Face à au fait de partager le post de My Better Self, comme je l’ai dit plus haut, j’avais émis deux doutes principaux : la vitesse des réseaux sociaux (dont nous venons de parler), et le contexte du coronavirus qui me poussait à chercher une bonne nouvelle, une bonne action.
Le second doute n’est pas à délaisser. Il explique aussi notre attitude polarisante d’aujourd’hui. J’ai expliqué plus haut avoir ressenti le « besoin d’une bonne nouvelle ». Cela fait quelques temps que je me sens dépassée par les défis du monde actuel: le réchauffement climatique, le racisme, le sexisme, la crise économique, la crise sanitaire, le consumérisme. Toutes ces questions sont omniprésentes dans mon quotidien, que je fasse les courses ou que je prenne le métro. Cela a créé chez moi un sentiment d’impuissance dont je ne devrais pas sous-estimer l’impact. Aujourd’hui, si comme je l’ai dit plus haut on n’apprend plus à prendre le temps de la réflexion, on ressent aussi un besoin de se positionner autour de questions qui nous tiennent à coeur. Parce que se positionner, c’est aussi agir. Nous voulons « faire quelque chose » et donc nous prenons position.
Ayant grandi avec les débuts d’internet et sa transformation, je me sens constamment le cul entre deux chaises. Entre un ancien monde plus lent, et un nouveau toujours trop rapide pour moi dans lequel je ne me sens pas représentée. Le futur devient de plus en plus incertain à mesure que je grandis, comme une menace planant au-dessus de ma tête. Parfois vient une éclaircie et j’ai à nouveau de l’espoir, mon chemin est ensoleillé par la culture, l’art, les rencontres, les erreurs, les lectures, les discussions, et je me dis niaisement que au fond, « on est tous humains ».