Madame, Monsieur,
Oui, nous sommes en pénurie, une grave pénurie de bon sens qui justifie votre volonté farouche, et je la prends en compte, de venir vous jeter, genoux à terre, à neuf heures quinze devant la porte du magasin pour acheter un paquet de graines de lin doré. En effet, la conjoncture actuelle a pour conséquence obligatoire l’urgente nécessité de vous écraser à la porte vitrée tel des pigeons affamés, et conforte mon désir de me lever chaque matin à cinq heures trente pour remplir les rayons aussi vides que vos estomacs et le dévidoir de papier hygiénique de vos toilettes.
Je tiens à vous dire ma détermination sans faille et plus que réelle, mon aspiration à recevoir chaque jour vos postillons quel qu’en soit le prix pour ma propre vie? Oui, venez, approchez, rien ne dois arrêter votre élan vital à outrepasser les distances de sécurité, rien ne doit arrêter votre nécessité à passer votre tête sous la vitre qui nous sépare à la caisse, et oui Madame, pour vous j’élaborerai un processus de distraction de mon employeur, un plan correspondant à vos grandes exigences, oui, pour vous madame j'accepterai les espèces.
J’ai depuis longtemps défendu l’idée que, dans l’état de crise unique dans lequel nous sommes, il est d’une nécessité évidente que les règles de politesses sont à jeter à la poubelle. plus que cela, je tiens à vous demander personnellement, dans l’idée d’une aspiration au progrès social, d’arrêter de me répondre quand je vous dis bonjour, de ne surtout pas me remercier quand je vous livre vos courses, et surtout, plus que jamais de m’insulter quand j’ai oublié de mettre votre baguette de pain de côté, et ce, Madame, Monsieur, est l’unique solution pour un progrès véritable.
Alors, même si j’ai bien conscience qu’il n’est pas aisé d’attendre deux jours pour pouvoir à nouveau acheter des jeunes pousses d’épinard, sachez que je suis à vos côtés, que je suis là pour rendre votre visite quotidienne à deux cent cinquante euros rentable, que je suis là pour être votre unique défouloir de la journée, lâchez-vous et construisons ensemble un avenir plus juste, plus fraternel, et plus humain.