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Billet de blog 17 mars 2012

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Bo Xilai démis de ses fonctions : que faut-il en déduire ? Danielle Bleitrach

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Bo Xilai démis de ses fonctions : que faut-il en déduire ? Danielle Bleitrach

15mar

15 mars 2012

Après la visite impromptue de Wan Lijun, le maire anti-corruption de l’immense métropole de Chongqing (32 millions d’habitants, une des villes ayant statut de province), au consulat des Etats-Unis, il y a eu beaucoup de supputations non sur Wan Lijun dont le sort paraissait scellé mais sur son "patron" Bo Xilai que l'on baptisait dejà le Kennedy chinois et qui n'était peut-être qu'un avatar de Gorbatchev.  Wan Lijun  a été démis  de toutes ses fonctions et n’a pas pu obtenir l’asile des Etats-Unis, il est interrogé par la police chinoise. II avait mené sa campagne de propreté en s’attaquant y compris à des chefs d’entreprises riches et puissants autant que la puissante mafia et les triades, si analogie il y a on pense à Eliot Ness mais aussi aux rapports complexes qui pouvaient lier un Edgar J.Hoover avec celui qui avait débarrassé les Etats-Unis de Dillinger. Toute analogie entre les Etats-Unis et la Chine est inexacte car l'essentiel les différencie en particulier le contexte sociohistorique mais l'échelle des phénomènes et le caractère sauvage des mutations observées nous y renvoient parfois.

Donc si le maire de Chongqing tombait “victime de son zèle”, est-ce que la position de Bo Xilai, secrétaire du parti de Chongqing s’en trouvait fragilisée, ou au contraire cette chute était son oeuvre ? le fait que Bo Xilai ait mis Wan Lijun à un poste moins exposé de la gouvernance de Chonqing signifiait-il qu'il cherchait à le protéger ou au contraire était-ce le début de sa chute? Nous sommes confrontés déjà à l'originalité du système politique chinois, le travail en équipe, la collegialité et de fait la responsabilité collective.

BoXilai né en 1949,  était considéré comme un possible premier ministre  et alors qu’il est déjà membre du politburo, il cherchait à entrer dans le cercle le plus restreint des neuf membres permanents qui représentent la direction collegiale du pays. Il menait ostentiblement campagne, ce qui est peut-être une raison de sa chute parce qu'il y a là une forme de déclaration d'ambitions personnelles en relation avec les médias et l'opinion publique étrangère qui le rendent imprévisible. Mais le pire qui lui a été sans doute reproché est d'avoir joué avec le mécontentement populaire et la nostalgie égalitaire du maoisme, et il est possible que ce soit à ce titre, celui d'une provocation au désordre - en Russie on a parlé de retour à la révolution culturelle- qu'il  n'a pu être maintenu en place à l’échelon provincial au moins jusqu'au Congrès qui changera l'équipe en place et qui commencera à l'automne en prenant effet en 2013.

En effet, nous sommes devant un gouvernement original sans grand équivalent en occident. Le Bureau politique permanent est formé de   neuf personnes jouissent d’un pouvoir indépendant chacune dans son domaine. Le nouveau président – le chef du parti – sera très probablement Xi Jinping. Il est l’un des neuf, et effectivement, le “premier” de ces membres égaux, mais ils sont égaux. Il ne peut démettre qui que ce soit parmi les neuf. La seule façon de changer l’un des neuf, c’est par un vote de l’ensemble des neuf. Ils vivent et travaillent ensemble même si la représentation est assurée par le président et le premier ministre. Autre inconnue Bo Xilaï dont l’ambition personnelle et le charisme était connu aurait-il présenté un facteur de déséquilibre dans cette gestion collective? Le futur président  Xi Jinping, est déjà en place tant en tant que chef des armées et vice président, c'est un homme énigmatique dont il est difficile à l'inverse de Bo Xilai de prévoir les orientations. Au plan international, il a accompli sa première étape avec une visite satisfaisante récente au plus   haut niveau aux États-Unis dans laquelle il a maintenu la ligne de la Chine, partenariat privilégié mais sur la base de l'interdiction de se mêler des affaires intérieures de la Chine, ce qu'on aurait appellé dans d'autres temps "la coexistence pacifique". C’est lui aussi “un prince”, un descendant des dirigeants historiques, comme Bo Xilai, avec la chute de ce dernier s’agit-il de modérer son pouvoir, l’intégrer dans la structure collégiale en le débarrassant d’appetits encombrant ou au contraire de limiter son pouvoir en le privant d’un associé?

La seule hypothèse présentant quelque crédibilité concerne le  renforcement de la structure collégiale sur le mode du “centralisme démocratique” qui combine petit collectif et poids personnel du secrétaire. Ce dernier cumule la direction du parti, celle de la présidence du pays et celle de l’armée, qui a sa propre structure, c’est un poste “pharaonique” mais pondérée par le pouvoir réel du bureau politique permanent et restreint. Au niveau des provinces et des villes province se répète la même collégialité autour du secrétaire du parti, mais si un des maillons bouge comme dans le cas de Wan Lijun, c’est l’ensemble des directions qui est en cause.

Le 15 mars est tombée la nouvelle :   Bo Xilai est  démis de ses fonctions de secrétaire du parti de Chongquing et remplacé par Zhang Dejiang .

Cette démission signifie-t-elle la victoire d’un clan celui des réformateurs pro-capitalistes sur celui d’ un réformateur égalitariste, certains disent populiste? Le fait que ce soit le premier ministre actuel Wen Jiabao  qui se soit chargé  de la charge et que celle-ci se fasse contre la brutalité de la politique menée à Chongqing ne signifie rien ou peut-être le contraire de ce qui apparaît. Traditionnellement dans une gestion collective c'est celui qui est le plus en désaccord avec une sanction qui doit la présenter et Wen Jibao dont on longtemps souligné qu'il était un réformateur sensible aux problèmes quotidiens et à des changements politiques est peu à peu apparu comme quelqu'un dont les proclamations n'étaient jamais suivies d'effet.  Sur le fond nous ne savons  rien des conditions réelles des raisons pour lesquelles Bo Xilai a été démis dans l'urgence. Nous n’avons que deux informations, la première est l’affaire précédente concernant le maire de Chongqing Wan Lijun et nous ignorons tout de la manière dont elle a pu intervenir dans la carrière de Bo Xilai, la mise en cause de la brutalité de l’action anti-corruption mais aussi le refuge au consulat des Etats-unis et ce que tout cela signifie. La presse occidentale aujourd’hui ne fait que supputer en insistant sur “la lutte des clans”, le Figaro, dans les coulisses bien sûr, nous explique que  “la bataille oppose essentiellement le camp de la Ligue de la jeunesse, dont le chef de file est l’actuel président Hu Jintao, et celui des «fils de princes», dont fait partie  Xi Jinping, son successeur presque désigné. Cette dernière appellation de «fils de princes» désigne les descendants des héros fondateurs de la République populaire. Bo Xilai faisait partie de ce camp. Bo, malgré ses airs modernes et séduisants, représentait aussi l’aile «gauche» du Parti, désireuse de revenir à certains fondamentaux maoïstes, sur le plan de la justice sociale tout au moins. Il avait lancé la fameuse campagne pour les «chansons rouges», incitant les masses à chanter de nouveau les hymnes révolutionnaires.”

Donc voici l’affaire tranchée, lutte de clans, la gauche vaincue… On oublie un peu vite que Hu jintao est lui-même issu d’un virage à gauche et qu’en fait ce que nous savons n’est qu’anecdote reposant sur l’affaire rocambolesque du maire de Chonqing et la nomination de Zhang Déjiang en remplacement de Bao Xilaï. Et surtout la définition de ce qui est à gauche et ce qui ne l’est pas en Chine est pour le moins sujet à caution du moins à partir des catégories de notre presse et du Figaro en particulier.

(张德江, Pinyin: Zhāng Déjiāng ( né en novembre 1946) est un membre important du parti communiste chinois, membre de son Politburo et  qui jusqu’à ce jour a été le chef actuel du parti de la province du Guangdong, ce qui n’est pas sans intérêt.  En effet il s’agit d’un province du sud, frontalière de Hong kong. La province a connu une croissance économique particulièrement rapide depuis les années 1980.  Elle constitue un centre économique d’importance nationale. Elle comprend deux des plus grandes villes chinoises : Canton, la capitale provinciale, et Shenzhen, deuxième bourse après Shangai. C’est une province qui a connu une mutation puisqu’elle est passée d’usine d’exportation de produits manufacturés à produits à forte valeur ajoutée. recemment c’est à Guangdonc qu’ont été multipliées les enquêtes sur la fermeture des entreprises et l’intervention pour que les travailleurs reçoivent leur rémunération dans le contexte de la crise actuelle, de l'Europe en particulier qui a des répercussions directes sur le commerce chinois.

Zhang est né à Tai’an, province du Liaoning, c’est-à-dire non seulement le nord du pays, mais une zone qui demeure partiellement collectivisée tout en ayant un port Dalian (ancien Port Arthur) zone franche ouverte aux investissements étrangers. C’est aussi une zone proche de la Corée où l’on trouve une population d’origine coréenne.  Effectivement en   1978 Zhang fréquenta l’université Kim Il-sung en Corée du Nord et fut diplômé en économie. En conséquence, certains considèrent que Zhang est un allié du président Kim Jong-il .Il a accédé à des postes importants sous Jiang Zemin le précédent secrétaire président de la Chine. Bien que considéré comme un allié de Jiang, il se serait ouvertement élevé contre la théorie des trois représentations. Le fondement de cette théorie légitimait l’inclusion du capitalisme et des entrepreneurs privés au sein du parti communiste chinois. Elle donna lieu à profonde opposition au sein du parti et depuis Hu jintao l’actuel président on n’en parle plus. La nouvelle présidence a insisté sur “l’harmonie”intérieure. En effet, si la Chine a connu un développement exceptionnel, a accédé au rang de deuxième puissance du monde, les inégalités sociales continuent de se creuser entre les classes et entre les régions, entraînant une multiplication des manifestations sociales.  Hu jintao a fait supprimer tout impôt pesant sur les paysans, déjà dans la misère. Il semble également attaché à la mise en place d’un système de santé public. Il a commencé à remettre en cause le hukou, passeport intérieur qui est une des causes du mécontentement de bien des travailleurs parce qu'il se répercute y compris sur l'organisation de la scolarité des enfants de migrants et crée des situations d'inégalité entre ceux qui sont originaires de la province et les autres.

Cependant, le gouvernement central a beaucoup de mal à faire appliquer ces décisions aux gouvernements de provinces, dirigés par des gouverneurs puissants et de plus en plus autonomes. Et c’est peut-être là qu’il faut chercher la distinction entre Bo Xilao et Zhang: comment rééquilibrer la nation chinoise ? Bo Xilao représentait-il ou non cette indépendance des pouvoirs locaux ? Alors que Zhang avait au contraire manifesté un travail commun avec le pouvoir central ? Ce qui paraît évident dans cette nomination est qu'elle pondère l'idée que ce serait une victoire des "capitalistes" sur "les collectivistes", on pense plutôt à une victoire des brejnéviens sur Elstine. Dans cette situation de turbulence où pour la première fois le commerce extérieur a baissé de manière importante et où un grand nombre de travailleurs diplomés arrivent sur le marché de l’emploi sans être assurés d’en trouver un à leur mesure, les réformes espérées ne sont pas nécessairement celles envisagées par l’occident, celle du hukou (le carnet de travail), la réforme de la santé, pesant autant sinon plus que le vote. Autre questionnement Bo Xilao était ministre du commerce et il a été limogé le jour de célébration de son ministère. Ce ministère le mettait en contact avec les puissances étrangères, cela peut-être anecdotique mais rien ne l'est totalement en Chine.Y avait-il une tentation gorbatchévienne, soutenue par l’Occident et par les Etats-unis, se combinant avec le retour de l’agitation au Tibet ? Peu vraisemblable...

C’est dire s’il est difficile de considérer qu’avec cette nomination, la démission de Bo Xilai peut être considérée comme un virage “à droite” par rapport à celui que les occidentaux avaient baptisé le prince rouge en insistant sur sa lutte anticorruption et sur son “retour” à Mao, ce qui peut être une pure manifestation d’opportunisme. Beaucoup de questions demeurent mais la plus importante est la mise en garde contre les tentations “populistes” d’un dirigeant démagogue…

De ce point de vue, la récente déclaration (mercredi 14 mars) du premier ministre actuel Wen Jiabao est à prendre en compte. Wen Jiabao est décrédibilisé en Chine parce qu’il ne cesse d’affirmer qu’il faut des réformes sans rien entreprendre. Il a déclaré que “ Les tragédies telles que la Révolution culturelle pourraient à nouveau se produire en Chine si le pays ne réussit pas à promouvoir sa réforme politique afin d’éliminer les problèmes dans la société”, Il  a indiqué mercredi que “la Chine avait non seulement besoin d’une réforme économique, mais également d’une réforme politique, en particulier de son système de direction du Parti communiste chinois et du gouvernement.”Les tragédies telles que la Révolution culturelle pourraient à nouveau se produire en Chine si le pays ne réussit pas à promouvoir sa réforme politique afin d’éliminer les problèmes dans la société, a indiqué mercredi le Premier ministre chinois Wen Jiabao lors d’une conférence de presse à l’issue de la réunion de clôture de la session parlementaire annuelle.” “Sans des réformes plus approfondies, la Chine risque de perdre les résultats de la réforme et de l’ouverture acquis au cours des trois dernières décennies, car les nouveaux problèmes tels que la répartition inégale des revenus et la corruption ne sont toujours pas résolus.”"La réforme est entrée dans une phase critique”, a souligné M. Wen, ajoutant que les réformes devaient avancer, non pas stagner voire même reculer.  Il a dit d'une manière un peu plus originale ce que la plupart des intervenants n'ont cessé de répéter au cours de la séssion parlementaire.

Depuis le 15 mars 2012, Zhang est secrétaire général du PCC de Chongqing et Bo Xialaï a été remplacé avant le Congrès décisif.  Dans une situation où tout le monde s’accorde sur la nécessité de réformes. Zhang Dejiang est visiblement un homme  jouissant d’une expérience et capable d’appliquer la ligne choisie et ayant fait ses preuves dans divers secteurs, apte donc à encadrer cette jeune génération,  même s’il est possible que sa nommination corresponde seulement à l’urgence de  la chute de Bo Xilai et avec lui la gauche de la sixième génération, cela peut aussi signifier tout autre chose en matière de choix politiques concrets. Donc il faut attendre et la seule certitude que l’on peut avoir est que les dirigeants chinois sont convaincus qu’il faut entamer de profondes réformes. Lesquelles ? Et que nous avons affaire à une direction collegiale où la recherche d’équilibre est la règle.

A l’automne prochain, avec la Congrès, l’équipe actuelle cedera la place à une nouvelle équipe, celle dite de sixième génération qui n’a pas vécu la Révolution, une part importante d’entre eux sont les enfants de dirigeants historiques, c’est le cas de Bo Xilai. Nul doute que comme insiste la presse occidentale il y a des luttes de personnes pour le pouvoir mais il y a aussi des problèmes d’orientation face à une situation dont personne ne peut sousestimer les dangers, la Chine connaissant un freinage important de ses exportations  autant qu’une montée des mécontentements internes. Autour de la nécessité des réformes toutes les formes démagogiques de revendication du pouvoir peuvent masquer les destabilisations les plus diverses.

Faire de la chute de Bo Xilao une simple lutte de clans comme cela a été interprété en occident est un peu court, il faudra bien considérer la complexité des mondes auxquels la mondialisation nous confronte et retrouver un mode d'analyse qui au-delà du théâtre d'ombre des personnalités et des dirigeants mette en regard des civilisations et des antagonismes de classe qu'exaspère la crise. Au titre des civilisations, il y a une supertition de tout pouvoir et de sa conception dynastique fut-elle celle d'un parti que l'on pourrait définir comme le mandat céléste, tant que l'empereur est capable d'assurer ordre et prospérité il a le "mandat céleste", dès qu'il y a anarchie, insécurité, misère, le souverain perd le mandat céleste et l'insurrection populaire qui se double de manoeuvres des élites devient légitime. Un autre aspect tout aussi fondamental est l'équilibre entre des conceptions de l'exercice du pouvoir apparemment inconcialiables mais en fait qui s'auto-équilibrent, le pouvoir légiste qui est celui d'un pouvoir autoritaire despotique mais qui fait la grandeur de la Chine auquel se référait Mao, le pouvoir confucéen fait de sagesse, d'harmonie, de respect des rites que l'on a vu ressurgir sous Hu Jintao, le pouvoir qui se conforme à la nature selon le taoisme..; Nous avons avec la Chine non pas la civilisation la plus ancienne mais celle qui a vécu la plus grande permanence tant dans l'écriture que dans la sucession de ses dynasties, avec des moments de centralisation, d'expansion, et d'autres de divisions internes Quand nous tentons de comprendre ce qui se passe en Chine, il faut considérer la nécessité de la traduction, nos mots, nos catégories ne recouvrent pas tout à fait le même sens. Non seulement la Chine, cette deuxième puissance mondiale reste un pays sous développé, ce qui est une situation inouïe pour le challenger des Etats-unis mais une partie importante de sa population vit dans des conditions de misère comparables à celles du Tiers monde et les mesures prises pour sortir le pays de ce sous développement en ont accéléré les contradictions et l'immense patience chinoise témoigne d'une évolution: les manifestations, les protestations comparables à celles que nous connaissons en France pour le moment s'exercent contre les entreprises étrangères, la surexploitation, le non respect du code du travail embryonnaire et aussi contre les notables locaux, leur corruption.

Lutte de clans peut-être mais de quoi sont-elles le signe ?

Danielle Bleitrach

Carte administrative  de la Chine:

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