Dans les temps difficiles que vit l’humanité et qui pour certains se traduisent pas la famine, l’absence d’accès à l’eau il y a une distance grandissante entre les possibilités d’expression politique du désarroi de l’accès au travail, à la vie elle-même et au vivre ensemble. Pourquoi cette incapacité à exprimer cette anxiété qui s’étend comme une onde de choc au point que c’est dans le fait divers que semble remonter le politique pour être aussitôt enfoui.
Il n’est pas le moins du monde question d’excuser ou de justifier l’inommable en l’occurence le meurtre génocidaire d’enfants mais il est nécessaire de souligner à quel point le regard que l’on porte sur l’événement et au-delà sur notre propre société change si l’on fait du tueur un “immigré mal assimilé” ou un Français. Si je dis que Marine Le pen est l’éclaireur c’est que la perception qui est la sienne est la notre et explique que le scandale que constitue ces meurtres soit à la fois impossible à digérer et si pourtant une sorte de fièvre semble avoir saisi certains militants de gauche, voir communiste à l’idée de parler des “vrais” problèmes. Comme si cette affaire abominable ne touchait pas à l’essentiel, l’inexprimable.
De toute part monte une idée que je ne suis pas loin de partager et qui pourtant dans l’état de tension extrême où nous nous trouvons peut être un jeu avec la mort, nous serions en quelque sorte “empêchés” par les procédures démocratiques en particulier le cirque électoral. Partons de l’interview de Zizek dans le magazine philosophie paru ce mois-ci, interview dont le titre est : “je hais mai 68” ou encore du dernier livre passionnant de Badiou (Sarkozy pire que prévu, les autres prévoir le pire). Il est trop facile de penser que, comme le livre de Jean Salem dont j’ai déjà parlé, il s’agit simplement d’opposer libertés formelles et libertés réelles en prônant l’abstention - à laquelle j’ai fini par me résigner pour mon propre compte sans penser faire le moindre prosélytisme parce qu’il s’agit d’une position d’impuissance.
Comme le dit Badiou “cet essai, qui n’a évidemment pas pour but de classer et de sélectionner les candidats dans le cadre prescrit de l’hystérie électorale, n’a pas non plus pour but de prôner l’abstention. S’abtenir n’est pas assez, s’abstenir est encore une modalité d’obéissance à l’injonction électorale, la modalité négative.Ce à quoi il faut parvenir, c’est à une pensée de la politique dont le vote est purement et simplement absent. La subjectivité politique accomplie est celle pour laquelle la question de s’abstenir ne se pose même pas. Car tout ce qui mérite d’être pensé et accompli est hétérogène à cette procédure“.p15-16
Il est vrai que pour mon propre compte avant qu’il intervienne les événements de Montauban et de Toulouse dont personne ne veut tirer le moindre enseignement ce qui m’apparait tout aussi invraisemblable que de mener une campagne électorale sans traiter au fond d’un des phénomènes les plus extraordinaires les suicides au travail, qu’est-ce qui peut pousser un individu à se suicider plutôt que d’aller tuer la cause de ses malheurs, quelle solitude organisée ? Sans parler de la paix et de la guerre. le refus d’aborder le problème de l’Afghanistan est à proprement parler un cas de déni politique comme il y a déni de grossesse. Donc avant que je prenne conscience de l’ampleur du cirque électoral à cause de cette incapacité à assimiler ce qui sidérait tout le monde, je m’apprétais à voter simplement pour battre Sarkozy.
Il y avait alors en moi cette volonté de lui infliger l’humiliation publique de la défaite, ses lois scélérates, l’exercice du pouvoir insolent aux dépends des faibles, l’appel au pire des être humains, j’éprouvais une sorte de hargne psychologique. Mais les événement de Montauban et Toulouse m’ont confrontée au vide politique, un peu comme les suicides au travail sont le symptôme du vide social. Or la politique n’est pas comme le dit Badiou l’exercice d’une pulsion, il s’agit au contraire de l’interrompre au profit d’un enthousiasme collectif rationnel susceptible de réellement changer les choses. “Faut-il pour autant se faire l’agent électoral et politique de ceux qui incarnent l’autre version du pire, celle qui vous fait avaler la même potion avec de douces paroles consolatrices et vous administre le somnifère des vaines espérances?”
la manière dont face à ces événements, personnel politique et militants ont choisi de jouer la politique de l’Autriche, pratiquer le refoulement au nom de la pulsion, de la hargne psychologique m’a convaincu qu’il n’y avait aucune solution pour le moment mais ce choix individuel est au degré zéro de la tentative vaine de s’extraire de l’absence politique.
je sais bien qu’il est de mode de croire que ceux qui se sont récemment pressés à la Bastille annoncent une “insurrection citoyenne” qui irait bien au-delà des élections. Permettez- moi d’en douter, les exemples sont là et toujours avec les mêmes. Il y eut les trahisons de mai 68, Charlety et l’appel au peuple de François Mitterrand. Puis le 10 mai 1981, toujours à la Batille et plus recemment encore lors du vote du Non à la Constitution. En s’appuyant sur ces exemples et sur les printemps arabes, voir le mouvement des indignés en Espagne, Badiou énonce ce fait :”Nous devons, nous pouvons, oublier absolument que l’Etat organise un vote. Et nous consacrer, dans la liberté que fonde cet oubli, à l’action-pensée qui a pour nom politique” (p.17).
Pourtant dire cela ce n’est pas désigner une solution mais un problème qui devrait permettre y compris de s’interroger sur ce que nous énonçons avec cet alternance d’enthousiasme collectif et ce cul de sac dans lequel après une élection nous aboutissons.
Effectivement comme j’aimerais croire à ce mouvement qui semble porter Melenchon, j’ai failli y croire en constatant premièrement que le PCF n’existe plus et qu’il serait vain de se raccrocher à quelque chose de diparu, enterré tous les jours par ceux qui sont censés le représenter, mais passons. simplement se dire “Si le grain ne meurt”. J’ai également eu l’impression que momentanément le peuple français trouvait là le moyen de ne pas se laisser avoir par le discours sécuritaire, les manipulations et il ne fait jamais négliger l’espérance.
Même l’accumulation des mouvements décrits par Badiou peuvent être considérés différemment qu’il s’agisse des printemps arabes ou de la manière dont la France réagit historiquement de manière positive de 36 à 68 chandelles. Si l’on considère qu’il y a là un processus dont la temporalité n’est pas celle que nous croyons et si ce capitalisme sénile a commencé sa chute mortifère lors de la boucherie de 14-18, si nous sommes encore dans impérialisme stade suprême du capitalisme et si le nazisme n’a jamais été éradiqué, rien n’est joué ni dans les pays arabes, ni en Europe, ni en France. cette alternance de mouvement originaux porteurs d’espoir et de trahisons avec retour de la bourgeoisie et du capital qui impose un jeu électoral dont il détient les clés ne s’achève pas à chaque échec, il y a un apprentissage ballottement ou dépassement? bref si nous acceptons la complexité, l’analyse systémique du capital et pas “le complot” unidimensionnel dans lequel il suffirait de voter d’un point de vue moral pour abolir l’ordre des choses existant peut-être que nous pourrions penser le politique autrement..
De ce point de vue, j’aime bien les paradoxes de Zizek, je préfère le hégélien-lacanien à certaines raideurs convaincantes du platonicien Badiou. Zizek, lui aussi affirme “ce qui interdit aujourd’hui toute remise en question radicale du capitalisme, c’est la croyance en la forme démocratique de lutte contre le capitalisme“.
C’est vrai que l’élection est l’espérance de changer ce qui est insupportable sans rien bouleverser de fondamental. Et c’est sur cela que l’Etat du capital qui organise les élections et donc reprend la maîtrise du processus agit pour exercer sa force et son pouvoir, offrir une alternance sans issue qui casse le mouvement populaire mais celui-ci repart avec ce que décrit badiou comme le communisme inconscient des mouvements, l’aspiration égalitaire. Que signifie l’aspiration démocratique, le refus de la corruption qui secoue le printemps arabe. la chair des faits est derrière le mot devenu creux, la corruption ce n’est pas les jeux entre Sarkozy et bettencourt, les valises pour campagne électorale, c’est le pauvre homme à qui chaque représentant du pouvoir interdit de vivre s’il ne donne pas le pourboire, c’est la prison où on l’enferme s’il proteste. Et Badiou a raison, l’inconscient égalitaire, le communisme est derrière la protestation démocratique mais faut-il nier pour autant les libertés dites “formelles” que nous avons conquises?
Zizek et en ce sens il m’intéresse au plus haut point refuse d’opposer libertés formelles et libertés réelles, l’expérience des ex-pays socialistes est là pour montrer le caractère illusoire d’une telle opposition. “Certes nous ne disposons que d’une liberté formelle – mais il s’agit tout de même du seul espace de liberté qui existe encore. Si vous abolissez la la démocratie formelle, vous n’obtenez pas la démocratie réelle, vous perdez la démocratie en tant que telle. le seul espace de liberté dont nous disposons réside dans cet interstice entre la démocratie formelle et la forme véritable qu’a adoptée notre absence de liberté. Le problème de savoir comment surmonter le règne tout puissant de l’argent tout en préservant notre liberté est un problème très sérieux.”p.64
Il ne s’agit pas on le voit d’abstention en soi, ni même d’opposer liberté réelle et liberté formelle, ou encore d’inventer une liberté du collectif qui supprimerait l’aspiration de l’individu. Zizek dit qu’il hait mai 68 mais que si l’on ne peut pas faire trop là-dessus le Sujet existe, la subordination des femmes, les relations au sein de la famille, ce qui se passe dans les usines.. Il ne veut pas des centaines de milliers de gens se regroupant sur une place pour clamer leur solidarité, cela ne coute rien mais comment traduire cela dans la vie quotidienne.
je dois dire que j’ai vécu la distance entre ce qui s’était passé à la bastille et l’incapacité à s’interroger sur ce qui se passait à Toulouse-Montauban comme le signe de la nullité de ce mouvement du moins tel qu’il se présentait “par le siège” un pur moment de cirque électoral, l’absence de chair communiste dans “l’insurrection citoyenne”. Quand vous recevez tous les matins des posts exstasiés sur le dernier exploit verbal de melenchon exigeant du PS qu’il le respecte alors même que les mêmes militants considèrent qu’il ne fait plus parler de la tuerie, de la guerre il n’est même pas question. Les bras vous en tombent…
je dois dire mon adhésion profonde à certaines des boutades de Zizek, quand on lui demande ce qu’il faut faire, il répond je ne sais pas mais ça ne me disqualifie pas pour donner mon avis. J’aime encore plus ce qu’il énonce là: “je n’aime pas ce slogan ‘le capitalisme financier est coupable’. le problème est le suivant: qu’est-ce qui, dans la logique fondatrice du système capitaliste aujourd’hui, permet au caputalisme financier d’agir comme il le fait? Il s’agit d’une contrainte systémique. les banquiers ont toujours été mauvais- ne rejetons pas la responsabilité sur les banquiers d’aujourd’hui! c’est stupude! la pure des choses que nous pourrions faire serait de moraliser la crise. Fuck it! Il ne s’agit pas d’une crise morale pure et simple!
Autre remarque à méditer: “De nombreux amis, ou même des gens qui ne sont pas des amis, me demandent pourquoi ne laisses-tu pas tomber ce nom stupide de communisme, qui porte en lui tant d’associations malheureuses? je donnerai trois raisons à cela. je sais, comme tout bon freudien devrait le savoir, que lorsque les explications s’accumulent, c’est qu’il y a quelque chose qui c;loche. premièrement, j’aimerais maintenant, malgré tout, qu’il existe une histoire du communisme, une tradition précide, avec laquelle le stalinisme et consorts n’ont rien à voir. par exemple, cette tradition émancipatrice radicale, du millénarisme et sa croyance en la fin des temps. le royaume éternel est là! On la trouve dans le christianisme, dans la révolte spartakiste de berlin (en 1919), dans la guerre des paysans (qui a enflammé le Saint Empure romain germanique ,entre 1524 et 1526) L’histoire de ces courants est précieuse, et j’aimerais la maintenir vivante. deuxièe: le problème des autres démarches, c’est qu’elles sont trop compromises dans des directions inverses, trop aisément digérables. pensons à la notion de solidarité. Fuck it! Même Hitler aurait pu parler de solidarité. ou de “dignité”. tout dépend de ce qu’on entend par dignité. Vous savez ce mot de “communisme” a au moins cet avantage: il vient signaler que nous racontons des fadaises, que nous ne demandons pas “plus de justice”, ce genre d’idées creuses. le troisième point: peut-être est-ce bon que ces idées traînent avec elles ces associations horribles. elles nous rappellent combien les projets d’ampleur historique sont toujours exposés à de grands périls. dans de tels projets, nous jouons avec le feu: il n’existe aucune garantie que l’entreprise la plus noble ne se transformera pas en un megacauchemar. mais ma dernière réponse. La vraie est la suivante:
Le mot communisme comme je le souligne dans mon livre, n’est pas le nom d’une solution mais d’un problème.