"De la destruction des structures sociales et du chaos, mamelles du libéralisme, et de la nécessité d’une pensée de gauche pour y faire face"
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Les temps sont durs pour les gens raisonnables.
Et pourtant il nous faut bien essayer de l’être, raisonnables, et de l’être encore, si possible, ensemble.
Peut-être que le véritable clivage politique aujourd’hui est là, d’ailleurs, entre celles et ceux qui veulent sauver la démocratie en étant d’accord sur le fait que son essence même, ce n’est pas l’accumulation d’opinions individuelles plus ou moins bien informées sur tel ou tel réseau social, dans des vagues dont certaines ressemblent à du harcèlement ou à des exécutions, mais la confrontation (même virulente, même violente mais non armée) des avis, des données, des expertises… dans des cadres intellectuels, institutionnels et organisationnels, privés et publics, destinés à et construits pour accueillir ces « paroles contraires », permettre leur expression la plus libre possible et en tirer une substantifique moelle collective qui soit profitable non pas à quelques-un.e.s, mais au plus grand nombre.
Avec un sens de l’intérêt général et du bien public qu’on ne remettrait pas en permanence en question pour des raisons qui tiendraient hélas, à la légitimité des émetteurs ou des personnes chargées de faire fonctionner et de diriger telle ou telle structure.
C’est presque un lieu commun de le dire : ces structures d'organisation, de réflexion, d'expression et d'action collectives , que les réseaux sociaux ne remplaceront jamais, sont décriées, et très attaquées, sinon véritablement minées de l’intérieur par des divisions parfois invraisemblables et des guerres picrocholines (syndicats, partis, Parlement, associations…), la démocratie est très malmenée de manière générale par une philosophie politique très en vogue actuellement, qui gère des grandes masses sans aucune nuance et par le chaos.
On construit de"faux blocs identitaires" qui n'existent que dans des esprits sournois. Qui peut soutenir sérieusement que "tous les syndicalistes" pensent de la même manière la même chose? Que toutes "les féministes" pensent de la même manière la même chose? Que "tous les non-vaccinés" pensent de la même manière la même chose?... Mais cette construction intellectuelle sans nuance est tellement plus pratique pour alimenter la polémique!
Rebaptisé « disruption » pour faire chic et innovant, il s’agit en réalité purement et simplement de destruction. Destruction de valeurs. Destruction des structures de la démocratie pour créer le chaos et la confusion.
Ce que Marx avait théorisé en son temps : pas de lutte contre l’éternelle problématique bourgeoise de baisse tendancielle du taux de profit sans destruction de valeur.
Ce que Prévert avait mis en vers dans « Il ne faut pas rire avec ces gens-là » avec sa compagnie de théâtre alors, on était en plein Front populaire :
« C’est la coutume
il y a trop de travailleurs dans le monde
il faut les expédier dans l’autre
trop de travailleurs, trop de café, trop de sardines,
trop de betteraves, trop de fraises de bois,
trop d’instituteurs…
À la mer le café
Au vestiaire la canne à sucre
À l’égout le beurre
Aux chiottes les primeurs
En prison les travailleurs »
Pour lutter contre la baisse tendancielle des taux de profit, il n’y a que quelques méthodes, toujours les mêmes : moins de travailleurs, baisse du coût du travail, raréfaction des biens et de services disponibles, conglomératisation des structures de production, financiarisation de l'économie et création de nouveaux marchés.
On reconnaît bien là la « patte » de l’école de Chicago lancée par Milton Fridman et dont Naomi Klein a très bien parlé dans « La stratégie du choc -Montée d’un capitalisme du désastre » un excellent ouvrage (souvent mal compris, ou utilisé malintentionnément par les milieux complotistes) écrit en 2007.
Dans un pays déjà très malmené, depuis des années, par des politiques plus ou moins libérales sur le plan économique et de plus en plus autoritaires sur le plan intellectuel et politique, gravement violenté par des attentats, des blessures douloureuses, et des controverses qui mine de rien, portent atteinte au principe même de la démocratie (la libre expression des questions ,des positions, des propositions, des informations… le débat et la raison plutôt que la polémique et l’opinion, le clash et le buzz), où la crise prétendument « sociétale » masque la grave crise économique sur laquelle le capitalisme financier prospère depuis les années 80 et qui franchit des étapes de plus en plus inquiétantes, en parasite de la production réelle, les lames s’aiguisent de plus en plus au sujet de la pandémie, du vaccin et des obligations diverses et variées.
Personnellement, sur ce sujet des vaccins, obligations, passe, protocoles etc. et comme la plupart d’entre vous en réalité, j'imagine, je me pose surtout beaucoup de questions, je varie, et au fond, j'ai peu de réponses. Mon objectif consiste donc surtout à essayer de rester informée et à faire le tri entre les sources valables, même contraires et les autres. Je ne remets pas en cause l’existence de la pandémie, les vrais problèmes de santé publique, et la réalité des personnes décédées. Je crois que là c’est « le » cap à ne pas franchir, où on verse dans le complotisme. Pour autant, on peut (on doit pouvoir) toutefois questionner l’usage qu’une certaine catégorie de personnel politique fait de faits réels, de données concrètes et c’est dans cet usage que les choses se jouent aussi.
Aurions-nous pu avoir une véritable obligation vaccinale ? Je ne le crois pas, car nous n'avions (et n'avons toujours) pas suffisamment de vaccins ni suffisamment d'infrastructures et de personnels pour les administrer. La brutalité et la contrainte sont -elles des moyens efficaces en matière de santé publique ? Non, pas du tout, jamais, au contraire (un ami rappelait opportunément ailleurs l’existence de la Déclaration de Denver relativement à la pandémie du Sida). Est-il normal de vouloir protéger une population d'une pandémie ? Oui bien-sûr, c'est même le devoir d'un gouvernement en temps normal, ce me semble. Peut-on pour autant continuer à vendre « le rêve » d’un "risque zéro" (finalement, comme en matière de délinquance ou d'immigration, pour certain.e.s...) Non. Les vaccins sont-ils dénigrés par des gens souvent complètement allumés, complotistes, paranoïaques, qui sont opposés au progrès et à la science... ? Oui, souvent, hélas. Mais pas que. Plus de 40 % des non-vaccinés ne sont pas vaccinés pour des raisons qui tiennent à leur statut social, à leur précarité, à des défauts d’information, à des difficultés d'accès selon l'Inserm. C'est énorme et il faut l'entendre. Dans les Dom Tom, les non-vaccinés expriment fréquemment un rejet ancestral de la colonisation et du colon. Et oui, la métropole (et les békés) a commis tellement de fautes et les a si peu (jamais ?) réparées. Hier Mururoa, encore aujourd'hui, le chlordécone.... Comment ne pas voir dans la garde à vue récente d’Elie Domota en Guadeloupe un geste politique symbolique fort du pouvoir central, bien plus qu’une nécessité de police, même au regard d’un maintien de l’ordre public ? Notre système de santé et nos hôpitaux sont-ils au bout de leurs ressources, gravement sous-financés, sous-équipés? Oui, sans aucun doute et ça ne date pas d'hier, mais une fois qu'on a dit cela, que fait-on au regard de la pandémie actuelle qui est réelle? La vie en collectivité implique-t-elle de ne pas avoir de "liberté absolue" et entraîne-t-elle des atteintes inévitables aux libertés individuelles? Oui, ça ne fait pas de doute, et depuis toujours et ça ne me choque pas. Mais il y a bien-sûr des curseurs et des limites aussi à ces restrictions. Le passe vaccinale ou sanitaire (j'avoue avoir perdu le fil et ne plus savoir exactement ce qui s’appelle comment) a-t-il des effets importants sur certaines libertés fondamentales (ou ce qu'il en reste, depuis le temps qu’elles sont attaquées dix fois par an par la droite comme par la gauche)? Oui indubitablement.
Est-ce légitime ?
Et je crois que c'est là que les points de vue divergent le plus, et qu'à mon sens nous tombons ou risquons de tomber toutes et tous dans un piège dialectique assez terrible.
Cette question de la légitimité des mesures (quelles qu'elles soient finalement, dès qu'on sort du fantasme du " risque zéro") ne peut être décorrélée de l'examen attentif de l'état de notre démocratie et du gouvernement qui nous gouverne.
C'est là que tout va mal.
Je reconnais avoir actuellement beaucoup de mal à me dire qu'un gouvernement comme celui qui nous gouverne, un Président comme M. Macron, qui vient nous dire qu'il "emmerde" ses concitoyens, ses administrés, finalement, ses semblables, qui gouverne par le chaos, pour le libéralisme, cet émissaire de Milton Fridman qui garde en poste des ministres mis en examen, qui se mêle publiquement de leurs procédures judiciaires au mépris de l'indépendance des magistrats dont il est supposé être garant, dont on connaît trop bien les liens avec le Capital, qui détruit tout ce qu'il touche, à commencer par le semblant de démocratie qu'il nous reste... voudrait réellement "mon bien". C’est vrai, je n'arrive plus à me dire qu'il est légitime (je pense qu’il ne l’est pas suffisamment pour nous infliger ce qu’il nous inflige). Je ne peux pas imaginer que les mesures qu'il prend le seraient.
Ce que je vois, quel que soit le sujet dont il s'empare, c'est qu'il incite à la guerre de chacun contre tous (et c'est normal ! qui dit libéralisme dit individualisme, qui dit individualisme dit loi du plus fort, obscurantisme et prédation). Sa manière de lutter pour la laïcité (soi-disant) c’est de s'en prendre aux femmes voilées. Sa manière de lutter contre le Covid (soi-disant) c'est de s'en prendre aux non-vaccinés. Sa manière de lutter contre le chômage (soi-disant) c'est de s'en prendre aux chômeurs (« traverser la rue », « se payer des costards » etc.). Sa manière de lutter contre le terrorisme (soi-disant) c'est de s'en prendre aux militant.e.s anti-racistes (au passage, on attend toujours une explication sur la grave défaillance des services de renseignement qui pourrait avoir joué un rôle non-négligeable dans l’exécution de l’assassinat de Samuel Patty). Sa manière de lutter contre le réchauffement climatique (soi-disant) c'est de promouvoir le nucléaire, la chasse et les néonicotinoides....
Il invente et met en exergue des responsabilités individuelles qui effacent et remplacent même, les responsabilités collectives, politiques, il désigne des boucs -émissaires en permanence et nous monte toutes et tous les uns contre les autres mais sur de mauvaises bases, des bases individualistes où chacun devient le « flic » de tou.te.s (et de soi-même).
C'est ça « être disruptif », c'est d'abord instiller les germes du chaos, car pour les libéraux, le chaos est créateur d'opportunités et de richesses (c'est la nature profonde du capitalisme « qui porte en son sein la guerre comme la nuée porte l'orage » disait Jaurès…)
J'ai l'impression d'être spectatrice d'un mauvais jeu vidéo de destruction massive, paramétré pour qu'on ne puisse prendre que les pires décisions possibles. Je vois peu d'espoir possible, aucune structure collective ne m'inspire à ré-adhérer, à rien, car j'ai l'impression que toutes manquent cruellement de boussole, et l'avenir me semble bien noir.
J’espère que la gauche va retrouver un « fil directeur » plus large que tel ou tel « bout de la lorgnette » (malgré tout à l’échelle d'un pays, de l'humanité, et de la lecture de son histoire, cela restera "une lorgnette" au même titre que l'assassinat d'Henri IV ou la grippe espagnole, si on compare à la guerre 14-18 ou à la pandémie de Sida dans le monde, et je ne dis pas cela pour minimiser les effets de la pandémie de Covid, qui est grave et justifie à mon sens des mesures).
Sortir de ces ornières, véritables flétrissures morales, que sont les cabales en « wokisme » (sic), ou en « hystérisation féministe », contre le camp du débat collectif et du progrès social.
Sortir aussi de ces débats entre « individus et opinions personnelles » qui mettent parfois les meilleur.e.s d’entre nous au niveau d’un plateau de Laurent Ruquier (c’est dire…), c'est à dire en sortir par « le haut », par la réflexion commune, la raison, et un retour à nos fondamentaux.
Contrairement à ce qu'on peut entendre parfois, non, la gauche, ça ne signifie pas "rien". Et nos fondamentaux sont et doivent être « de gauche ». Ça restera préférer la démocratie et le débat à l’autorité et à la force (ça n'empêche pas une forme de fermeté mais, comme dans l’éducation, savoir dire « non » et s'y tenir, ce n’est pas pareil que leur taper dessus...). Ça restera obtenir des droits pour les plus fragiles et les moins audibles. La protection des droits des femmes et des enfants. Le refus de la pauvreté et de la précarité. La lutte contre le racisme et l'antisémitisme. La protection de celles et ceux qui se battent pour les droits syndicaux et politiques contre la prédation du capital qui exploite les corps, les âmes, les vies.
Je crois que nous avons encore les moyens de faire la part des choses. Les moyens d'être raisonnables. C'est notre devoir, même. Y compris quand c'est difficile. Et une « boussole de gauche » peut nous y aider.