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Billet de blog 5 août 2025

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Dynamiter la caste militaire

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En Mauritanie, le sort réservé aux Noirs est aux dimensions de l’horreur. Entraînées par une primitive haine génétique, les autorités mauritaniennes veulent redéfinir la configuration démographique du pays à travers une lourde et sourde épuration ethnique qui épouse les pratiques moribondes de l’ensauvagement. Ainsi, elles réquisitionnent la police, la gendarmerie et la garde nationale pour enlever de braves gens qui participent à dynamiser la vie économique du pays avec majesté. Les hommes en uniforme s’introduisent même dans des espaces intimes de certaines maisons pour fouiller et trouver leur cible. Vous vous rendez compte ! C’est une folie. Les témoignages sont convergents et édifiants en ce sens. Ces braves gens désignés comme des « étrangers », brutalisés et humiliés, sont les moteurs de nombreux secteurs d’activité : qu’il s’agisse du BPT, des commerces, de la pêche, de l’élevage, ces braves gens tiennent leur rang avec une dignité qui ne souffre d’aucune ride. Les autorités mauritaniennes doivent exprimer publiquement leur HONTE et rétablir les droits fondamentaux de ces braves gens. Je l’avais déjà dit et le répète encore : ce ne sont pas les « étrangers » qui sont martyrisés, ce sont les Noirs mauritaniens qui sont tyrannisés. Si les bonnes volontés du pays ne s’engagent pas contre cette barbarie sans nom, la caste militaire ira plus loin que les honteuses rafles criminelles du moment et les conséquences dépasseront toutes les prévisions politiques de la tragédie qui en découlera.

Au bord de la phase terminale de l’aliénation la plus aboutie, les militaires au pouvoir utilisent les mêmes schémas que les colons arabo-berbères pour dominer leurs « concitoyens ». La Mauritanie est un pays « arabe » et il faut imposer le caractère monolithique de cette identité, tel serait le postulat qui résume le projet cadavérique de la minorité berbère aux commandes du pays. Au lieu de s’établir à l’extérieur de soi avec l’enchevêtrement des différences au gré des rencontres qui ne manquent pas de se manifester dans une société composite, les piteux militaires choisissent d’ « ensoucher » leur identité en s’illusionnant à croire que celle-ci est tombée du ciel. Or, l’identité revendiquée est héritée d’une série de colonisation linguistique, culturelle et religieuse menée par les Idrisides, les Abbasides, les Marinides, les Wattasides et les Sadiens, entre le VIIe et le XVIe siècle. Cette série de colonisation est tellement réussie que les colonisés en font à leur tour une arme de conquête. Quelle bêtise crasse ! Au lieu de faire marcher le pays à la baguette dans une dynamique de responsabilité tournée vers les autres pour faire face aux urgences et aux misères de l'instant, les piteux militaires préfèrent tourmenter sans relâche celles et ceux qu’ils appellent « étrangers », avec des traitements sordides et cruels. Dans leur entendement, le paysage des « étrangers » est unicolore, il n’est composé que de « Noirs ». Ainsi, puisqu’ils ont les pleins pouvoirs, l’occasion est belle pour expérimenter le vieux projet cadavérique des dignitaires des populations Sanhadjas : épuration ethnique. Si les Soninkés – premiers habitants de la Mauritanie du Nord et du Centre – avaient adopté une telle cruauté, les personnages au pouvoir seraient encore berbères-nomades du Sahara, de la périphérie du Maroc ou quelque part dans le ventre des déserts désaffectés. Un peu de raison bon sang !

L’ambition effrénée de réduire les autres à la transparence de soi peut donner lieu à une satisfaction immédiate pour des personnes gonflées de suffisance mais cela finirait toujours par faire sauter à la dynamite. Derrière cette dramatique ambition des militaires au pouvoir, il y a  l’effondrement total de l’État mauritanien, de la nation mauritanienne, du devenir mauritanien. Cette conjonction de comportements haineux, de violences génétiques, de pratiques sordides, de faillite institutionnelle, qui fait de la Mauritanie une poudrière imprévisible, installe les populations maltraitées dans une rigole de vermine où le droit à l’existence serait proscrit. C’est là où l’expression du crime d’État tient ses lettres de noblesse. C’est un crime institutionnalisé parce qu’on mobilise l’appareil de l’État pour violenter des gens à cause de leur couleur de peau. Les pays africains et les pays du monde qui collaborent avec la Mauritanie doivent réagir immédiatement contre ce crime organisé. Ces pays ont l’obligation morale de revoir leurs relations avec la caste militaire qui gouverne la Mauritanie. Leur silence nourrit l’étalage de ce crime qui – à l’heure où ces mots parlent d’eux-mêmes – provoque terreur, misère et mort à Nouakchott. Je n’invente rien. Je ne fais que rendre compte de l’insolente réalité hideuse d’un pays qui réhabilite la barbarie la plus cruelle. Ce n’est pas une affaire mauritanienne, c’est une problématique existentielle qui concerne tous les Noirs, toutes les personnes dignes de l’humanité de l’Homme. Il ne suffit pas condamner la barbarie en question, il faut en comprendre le sens et mobiliser une action infaillible pour l’éradiquer complètement et définitivement. C’est qu’on demande aux pays qui fraternisent et/ou collaborent avec les militaires au pouvoir.

Il n’est pas question de lézarder au soleil comme les couleuvres à la merci du vent du hasard, il faut se saigner aux quatre veines pour arracher sa dignité. Les minorités mauritaniennes violentées doivent tirer l’épée de l’engagement sans conscience vindicative, sans fureur de haine, sans passion de domination. Si on ne s’engage pas pour sa dignité, on dépérit lentement et péniblement ; si on ne s’engage pas pour vivre libre, on meurt à petit feu.

La loi divine fondée sur le respect de la nature humaine exige l’engagement et l’investissement de soi pour une société plus juste et plus égalitaire. La caste militaire au pouvoir a choisi délibérément de marcher sur cette loi malgré le rappel intense et régulier des silences des mosquées qui inondent le pays. La caste militaire ignorante de la fin calamiteuse qui l’attend lorsqu’elle aura atteint la dernière nappe des profondeurs de l’abîme mis en place. Quelle médiocrité criminelle ! 

On ne regrette jamais d’avoir brandi la flamme de l’engagement sincère. Chaque Mauritanien-n-e doit se sentir engagé-e et définir sa vie par rapport à l’harmonie de la mesure de cet engagement. Pour fructifier l’engagement en question, il faut que l’effort soit mobilisé et sanctifié de bout en bout, non pas pour des tendances particulières, non pas pour des raisons partisanes ou claniques, non pas dans une conscience monolithique ou communautariste. L’effort collectif doit être élevé au-dessus de toutes les sensibilités qui composent le pays. Le devoir de chaque Mauritanien-n-e est de porter l’honneur de l’engagement pour la dignité sans aucune considération culturelle ou sociologique. Avec un engagement sincère et viscéral, on peut triompher de la haine de la caste militaire et lutter pour la raison libre, pour la conscience nationale. L’engagement sincère doit être le compagnon de notre dignité. Face à la cruauté ambiante des militaires au pouvoir et la médiocrité suffocante des auxiliaires de la domination qui les accompagnent dans leur tragique démarche d’épuration ethnique, l’engagement doit sourdre avec éclat et passion.

Au-delà du devoir dicté par les circonstances de l’instant et la chaotique situation du pays, l’engagement doit surtout être vécu et incarné comme un désir impérieux d’élévation. Le désir donne une plus-value à l’engagement : il pousserait à agir là où l’immobilisme étale ses tentacules, il maintiendrait éveillé le moteur de l’action dans toutes les circonstances. Si l’engagement est porté par l’impulsion du désir, il prendrait un élan irréversible pour acheminer les promesses de la démarche entreprise. C’est certain.

La profondeur de l’abîme dans lequel nous sommes précipités est grande. Cette profondeur nous oblige, nous engage devant l’éternel.

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