Saluer Maryse Condé est une évidence, c’est l’un des étendards les plus importants de la transatlanticité.
Par-delà la mer Caraïbe, épouse du gouffre de trois cents ans
Par-delà le ventre de l’Atlantique, caveau des boulets rouges d’une épouvantable traversée
Par-delà les restants des draps qui couvrent les plaies ouvertes d’une vie sans faste
Par-delà les coiffes de fleurs des bougainvilliers qui poussent devant l’éternel
La voix de Maryse Condé charrie la chalasie tant attendue dans le pays de la mangrove.
Maîtresse passionnée dans l’art de conter le monde transatlantique, Maryse Condé a déplacé les lignes verticales du dire conventionnel pour vagabonder la pensée par rapport aux fers identitaires qui l’ont vue naître comme écrivaine nomade. Cette poétique du déplacement participe à la subversion du français standard. Une subversion qui favorise l’imaginaire créole et l’écriture créole. Ce marronnage culturel et linguistique, initié par Césaire du Cahier d’un retour au pays natal (1939), vulgarisé par Glissant du Quatrième Siècle (1964) lui a permis de se défaire de la galéjade d’un certain exotisme littéraire, souvent associé aux Lettres de certaines dites régions « francophones ». Le déploiement de la grammaire césairienne s’accompagne de la libération des langues créoles : le penseur s’est inventé une poésie volcanique qui donna lieu à une articulation linguistique et culturelle des langues dites créoles. La narration glissantienne, caractérisée par une incroyable esthétique de la parole déshabillée, participe à l’émancipation des cultures linguistiques créoles : le philosophe-romancier dé-respecte délibérément le français pour libérer les créolophones. Leurs legs, empreints des mécanismes de résilience, ont servi – et servent encore – de nombreux écrivains antillais, africains et américains, au-delà de Maryse Condé qui a toujours reconnu les immenses apports de ses illustres aînés.
Du point de vue politique, entre la brocaille infectée de la békaille et l'obstination effective de la flicaille vichyenne, M. Condé a pris le large. Ainsi, pendant que le ciel du pays de la mangrove s’arrachait le nombril dans la nasse du vent du hasard, l’auteure de « Moi, Tituba » choisit le chemin inverse du bateau de trois cents ans d’enfer pour tenter de caresser, de sentir, d’embrasser à la bouche la transatlanticité. Il s’agissait pour elle de dépasser les mailles forcées d’un ensoi tourmenté qui lui serraient la gorge. Entre le complexe de supériorité supposée de la békaille qui contrôle tout aux Antilles, le complexe de vanité vexée de la mulâtraille qui pense posséder le monopole de la beauté et de l’intelligence, le complexe d’infériorité instillée de la négraille qui a peur de se saisir véritablement du tremblement du monde caribéen, Maryse Condé a vogué en carabinier pour se constituer un lieu d’émission de la parole – sa parole littéraire. Une parole significative d’une sociologie culturelle qui donne à voir les cultures politiques transatlantiques sous un autre angle. L’écriture condéenne tient en compte deux états de conscience : la conscience des traces et des traditions du pays-d’avant (pays africains) et la conscience des réalités complexes du pays réel (pays caribéens). Ainsi, c’est avec les forces insoupçonnées de la poétique de la mangrove qu’elle parvint à se hisser au rang des écrivain-e-s les plus lus et les plus respecte-é-s au monde.