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Billet de blog 18 avril 2022

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Extermination des peuples par la langue

On ne peut pas consentir à cette folle idée d’assimilation culturelle, de viol de la conscience et d’extermination latente. Il y a lieu de parler d’extermination : ramollir une langue, c’est programmer la mort de celles et ceux qui l’utilisent pour entrer en relation avec les autres, le monde. Chaque langue est significative d'une pensée d'une monde

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Les autorités mauritaniennes doivent comprendre que chaque langue est significative d’une pensée, d’un imaginaire culturel, d’une vision du monde. Quand on tue une langue, on extermine l’ensemble des sujets parlants qui l’utilisent au quotidien. Imaginez ces paysans au village isolés et coupés du monde à cause du Hassanya. Imaginez ces contes peuls, ces récits soninkés, ces légendes ouolofs et ces mythes bambaras mis au pilori à cause du Hassanya. Imaginez la lune ronde du Sud mauritanien perdre sa lueur et son éclat à cause du Hassanya. Imaginez les lèvres muettes de ces millions de personnes qui gisent dans une boue embrasée à cause du Hassanya. Imaginez encore…

Même dans le règne animal, la langue ou la communication joue un rôle essentiel. Prenons le cas des abeilles : lorsqu’une abeille sent ou détecte une nourriture quelque part, elle retourne à la ruche pour effectuer une danse en forme de huit. Cette sérénade est un mode de communication qui permet à l’abeille d’informer ses congénères. Le rythme des trémoussements de l’abeille indique la  distance de la substance, et la position inclinée de la danse par rapport à la direction de l’endroit où se trouve cette substance.  Ce message sous forme de danse est codé, et il n’est propre qu’aux abeilles. C’est une forme de génie instinctif qui permet aux abeilles de se communiquer et de se maintenir. Ainsi, quand on enlève ces « huit pas » de danse à l’abeille, on tue la communauté des abeilles.

Dans la même veine, chez les humains, chaque langue constitue une assise culturelle qui doit être préservée au nom d’une mise en relation pacifiée et équilibrée des différences. Qu’on le veuille ou non, la Mauritanie est un pays composite avec des langues et des ethnies diverses. Les Peuls, les Soninkés, les Ouolofs, les Bambaras, et les Hassanyas doivent pouvoir utiliser leur langue à travers les airs culturels du pays sans heurt, sans peur. Ce qui risque d’arriver aux Mauritaniens, s’ils se laissent faire, c’est l’assimilation linguistique forcée et brutale. Imposer le Hassanya relève d’une inégale absurdité. Le Hassanya, qui n’est même pas une langue véhiculaire, est pressenti comme outil de communication qui régira la vie officielle du pays. Ce serait dramatique pour de millions de personnes.

Rappelons-le : le Hassanya n’a ni âme, ni normes de scripturalité, ni transcription. Elle baigne sans raie dorsale dans les eaux profondes de l’Arabe et risque de se noyer au moindre mouvement ondulatoire du déchaînement des eaux en question. Les défenseurs du Hassanya s’illusionnent à penser que c’est une « langue » véhiculaire alors qu’elle n’a même pas le statut de dialecte digne de ce nom. Ils se trompent lourdement et s’en tamponnent le coquillard. Quels arsouilles ! Assez de scandale ! Au-delà de cette illusion, l’armée de teignes à la manœuvre cherche à définir et imposer l’être hassanya comme mesure d’individuation, dans une logique œcuménique. La définition de l’être relève d’un essentialisme loufoque qui doit être combattu sans trêve. Nous n’avons pas besoin de la notion de l’être comme valeur absolue, encore moins de l’être hassanya qui ne représente pas grand-chose démographiquement. L’être renvoie toujours au « même », à une filiation lointaine qui nourrirait les illusions liées à la pureté. C’est en se libérant des dogmes archaïques de l’être comme essence que l’on peut concevoir l’idée d’une nation mauritanienne. L’idée de nation ne relève ni de la colonne vertébrale d’une ethnie, ni d’un nombrilisme culturel, ni d’une identité ensouchée. La nation implique la mise en conjonction des différences : c’est la somme exaltée de cette mise relation qui favorise l’ouverture, le brassage et l’alliage. En dehors de cette perspective, la Mauritanie n’est pas et ne peut être.

Cette malheureuse idée fixe liée au Hassanya introduit une gradation de gravité qui aboutira à des tensions sociales importantes si la conscience de la raison n’intervient pas pour discréditer ce projet d’extermination ethnique par la langue. Il faut l’énoncer avec vigueur : les misérables mentalités de la chose publique mauritanienne font de la problématique des langues un terrifiant combat identitaire avec des conséquences dangereuses et imprévisibles. Utiliser cette problématique pour réveiller les alternateurs endormis des tendances suicidaires des identités monolithiques, c’est provoquer des confrontations ethniques. La vermine entêtée au service des médiocres au pouvoir doit renoncer à la reconnaissance du ventre pour retrouver l’âme de la raison et agir en conséquence. On ne peut pas consentir à cette folle idée d’assimilation culturelle, de viol de la conscience et d’extermination latente. Il y a lieu de parler d’extermination : ramollir une langue, c’est programmer la mort de celles et ceux qui l’utilisent pour entrer en relation avec les autres, le monde.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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