Quand la conscience commune d’un pays est dynamitée, non pas par des hommes isolés dans un tourbillon de folie, non pas par une unité de vermines avec des appétits sanguins, non pas par une obscure force avec des désirs arrêtés de jouissances faciles et éphémères, non pas seulement par des hommes en turban rêvant très haut au-dessus des peuplades désabusées, mais par un non-système qui refuse aux autres le droit à l’existence – et qui souffre de crises d’apoplexie – , il est nécessaire de battre sans trêve le tambour de l’insurrection, de frapper la terre avec le cri d’indignation pour faire retentir le hosannah de la beauté.
Le 10 février 2023, dans un commissariat de Nouakchott, Souvi Brahim Ould Cheine a été crapuleusement torturé et horriblement assassiné. On a mis fin à sa vie et non au rêve d’une Mauritanie fraternelle et relationnelle qu’il incarnait avec majesté. Souvi Brahim est tué mais il demeure vainqueur face à ce non-système délétère et clanique. Vaste comme une clarté tentaculaire, sa mémoire a rassemblé – et rassemble encore – les différentes composantes de ce pays sans faste où le droit à l’existence est inféodé aux caprices et aux humeurs des hommes en soutane qui croient détenir les pouvoirs du ciel et de la terre dans un pays de salives ravalées marqué par la démission volontaire et l’immobilisme suicidaire de certaines sensibilités qui vivent pourtant une horrible misère.
Au milieu d’une foule tourmentée, Souvi Brahim Oul Cheine avait brisé la muraille d’un impossible en apportant un souffle nouveau à la marche infinie des révoltes salutaires qui se déploient partout dans le territoire mauritanien. Il se définissait comme mauritanien sans aucune forme d’arrière-pensée communautariste ou clanique. Il a très tôt compris la nécessité de renoncer au nombrilisme mortifère de la raison ethnique ou communautariste pour caresser la prescience d’une Mauritanie créolisée avec la mise en conjonction de ses différences, dans un climat apaisé et harmonique où l’on cesse abusivement de se toiser et de se lorgner du coin de l’œil. A travers son activisme, la poésie brute de ses mots donnait à voir et à comprendre la Mauritanie autrement. C’est cette Mauritanie-là dont nous avons besoin ici et maintenant. C’est cette Mauritanie-là qu’il nous faut pour faire peuple et converger autour des mêmes valeurs. C’est cette Mauritanie-là que les vermines sanguinaires cherchent à discréditer et abolir dans les consciences.
Si les principes régénérateurs de cette Mauritanie créole ne datent pas de l’engagement sociopolitique de Souvi Brahim, il en a été l’étendard, le candélabre et le chef de file durant son activisme philanthropique. En épousant viscéralement le combat pour la justice dans ce pays démembré, Souvi Brahim Ould Cheine a choisi de mettre sa bravoure chevaleresque et son énergie intarissable au service des communautés mauritaniennes, toutes en souffrance, même celles qui pensent posséder les commandes des volcans des eaux désaffectées. Cette souffrance commune est une réalité qui doit mobiliser toutes les bonnes volontés de ce pays déchiqueté. Il est possible d’extraire la beauté en plongeant l’âme, le corps et l’esprit jusqu’aux racines de la souffrance en question. C’est dans cette conscience-là que les Mauritaniens dépasseront la fatalité sociale, leur fatalité présente.
Mauritaniens, ayez l’audace de dépasser vos apparentes divergences ethniques pour étrangler complètement et définitivement les cruelles destinées alimentées par les fossoyeurs du pays ! Il paraît que ces fossoyeurs gonflés de monstruosités sont à la manœuvre pour « définir » et « régler » le « prix » de la perte de Souvi Brahim Ould Cheine : ils cassent des tirelires et rythment leurs harangues avec les larmes de fauves affamés pour mieux violer les consciences des proches du martyr. Il paraît que des hommes d’affaires, auxiliaires des fossoyeurs au pouvoir, ont déjà débloqué des millions d’ouguiyas pour voler le deuil et contraindre au silence la famille du martyr. Endollardés de sottise, ces misérables personnages feraient mieux d’arrêter leurs liaisons cadavériques avec les croque-morts du pays.
Mauritaniens, on ne peut ni quantifier, ni solder l’horrible assassinat de Souvi Brahim Oul Cheine, de Lamine Mangane, de Ramdane Ould Mohamed et de tant d’autres. C’est une folie que de consentir à l’idée même d’indemnité ! Vous vous rendez compte : on paie l’exercice de la torture, les roulis de tangage des bastonnades gratuites, l’assassinat criminel et on en parle plus ? Non ! cela sonne comme une profanation de la tombe et une liquidation de la mémoire du martyr Souvi Brahim qui, rappelons-le, est mort pour avoir porté la flamme de la résistance en faveur d’une Mauritanie égalitaire et juste. C’est effrayant ! Je m’en effraye car c’est une sordide manière de justifier l’assassinat de Souvi Brahim et d’encourager d’autres massacres.
Mauritaniens, au-delà des émotions suscitées par l’horrible assassinat de Souvi, le spectacle offert ces derniers jours, avec des cavalcades politiques et les affairismes au goût nauséabond, fait honte non pas seulement aux pouvoirs politiques atteints psychologiquement, non pas seulement à ceux qui soldent et exploitent sa mort mais aussi à tous les hommes et à toutes les femmes qui ne s’indignent pas devant l’éternel.
Mauritaniens, dorénavant chacun doit se sentir engagé. Le désir d’autre chose sera réalité quand les Peuls et les Soninkés se soulèveront et s’indigneront massivement à chaque fois qu’un Haratin ou un Maure est inquiété ou tourmenté injustement. La lune ronde du printemps paradera dans ce pays lorsque les Haratins et les Oulofs se manifesteront et se mobiliseront collectivement à chaque fois qu’un Soninké ou un Peul est confronté à l’injustice. Permettez-moi de dire ceci avec vigueur : on ne peut pas penser et constituer un pays à partir du nombril d’une communauté. C’est une folie !
En Mauritanie, la naissance assigne une condition et signe un destin. La naissance détermine l’ordre des choses dans un élan vertical qui donne le tournis. Il faut appartenir à des yourtes larges pour s’élever et se constituer une place dans ce pays. Mais, Mauritaniens, sachez que cette déraison systémique est au crépuscule de sa vie, que les faveurs des grâces inouïes distribuées illégalement ne peuvent plus durer. Les Cornichons qui cherchent à préserver cette déraison sont à la fois faibles et niais. Ils sont tellement faibles qu’ils sombrent dramatiquement dans la corruption qui devient leur seul asile politique. Mauritaniens, l’espérance d’un progrès historique vous tend ses mains d'agave. A vous de les saisir pour étrangler la fatalité sociale qui vous plonge au cœur des ténèbres.