En Mauritanie, la maladie du cœur brisé étale encore sa couverture odorante à travers la face hilare d’un théâtre politique peuplé de masqués rogatons aux dents longues. Cette maladie se manifeste à chaque scrutin. Rien n’est fait pour arrêter l’hémorragie. Les mamelles de la Mauritanie saignent vigoureusement à cause de la bestiale bataille de la politique de l’ethnicité. Au lieu d’en prendre conscience et de limiter les dégâts de l’effusion mortifère, on creuse des sillons stériles qui ne participent qu’à mettre les gens aux fers dans des cloisons comme on enfermerait les brebis dans d’immenses écuries étranges.
Au-delà de l'inflation lexicale des discours pompeux qui caractérise la « vie politique » mauritanienne, les acteurs ou les personnages qui pensent être dans l’opposition pêchent dans le désert parce qu’ils sont dispersés et cela favorise le candidat sortant, qui déploie toutes les ressources du pays pour expliquer à ses concitoyens qu’il est la promesse du changement après avoir exercé un mandant au bilan gargantuesque. Les personnages de l’opposition doivent comprendre qu’une élection de telle envergure se prépare sur plusieurs années, que quelques semaines de harangues ne suffisent pas pour créer une rencontre avec des populations en souffrance qui attendent d’être portées par une dynamique de pensée et par une force déterminante. À les écouter, ils racontent presque tous la même chose ; ils promettent tous le gîte et le couvert mais ils sont éparpillés et cloîtrés dans les stries de leur carcan idéologique, qui ne favorise aucune forme de rupture pouvant acheminer la croyance d’un changement possible. C’est bien là l’embâcle !
Depuis cent ans le tocsin de « La Relation » (chère à Édouard Glissant) résonne vivement au cœur des consciences manipulées mais les Corsaires orgueilleux de la politique de l’autruche cultivent le morcellement des composantes sociales pour maintenir faibles le brassage des cultures et l’énergie du vivre-ensemble.
Depuis cent ans l’eau monotone du fleuve Sénégal et les limailles épouvantées de la chevelure de Zarga s’entretiennent de temps en temps pour réclamer calme, concorde et convergence de vues mais les manitous des misères renouvelées élargissent passionnément les tensions sociales pour mieux tirer profit du chaos qui s’ensuivrait.
Depuis cent ans l’échange et le partage se manifestent sporadiquement au sein des groupes sociaux qui constituent le pays mais à leur insu, en bande organisée, les larrons de la première procession défont la potentielle mosaïque fragile pour démembrer le pays et régner par caprice et par terreur.
Tout est là ! L’engagement politique doit s’articuler, s’expérimenter et s’exercer autour de la construction d’une mouvante mosaïque qui permettra aux antagonismes de s’équilibrer dans la conscience de toutes les différences sans aucune forme d’exclusion. Celles et ceux qui désirent réellement le souffle d’un vent neuf ont l’obligation morale de renoncer à la communautarisation de la pensée. Ils s’engageront à conjurer ce vent par leur volonté et leurs convictions, désaliénées et libérées des croyances primaires de l’ensoi. Le caractère obligatoire d’une telle révolution paradigmatique implique le désir.
Si le fait de concevoir les choses autrement devient purement et simplement un devoir, le résultat serait forcément médiocre car les valeurs escomptées ne permettront pas aux consciences de s’accommoder du tremblement salutaire qui adviendra.
Le désir n’est ni un besoin, ni un souhait dont la réalisation implique une urgence incontrôlée. Le désir intervient véritablement lorsque l’âme manifeste une absence, un manque. Le désir est une force motrice qui implique la raison intuitive, source sacrée de nos sens et de nos sentiments. Quant au devoir, il est toujours lié à la morale et/ou au droit. Il suppose une obligation, une contrainte voire une tension entre le parti pris de l’âme et les exigences de la société. Le caractère éthique et juridique du devoir relève d’un impératif catégorique qui éloignerait l’âme humaine de sa véritable aspiration.
Par conséquent, osons l’utopie : il est nécessaire de concilier devoir et désir pour définir des projections d’imaginaire nouvelles donnant lieu à des articulations sociologiques qui viseraient à favoriser les raccordements des câbles culturels mauritaniens. Il faut en sortir ! Il faut sortir de ce marasme social, de cette névrose collective pour constituer un véritable peuple basé sur la raison nationale, loin du nombrilisme suicidaire de la question ethnique. L’ethnicité est cette déviation totalitaire et funeste qu’il faut combattre jusqu’aux derniers retranchements. Elle relève d’une curieuse certitude loufoque qui établit des barbelés entre des différences. Pourtant la configuration sociale et la conjoncture politique du pays demandent aux Mauritaniens de renoncer définitivement à la misère des déchirements de l’exil mental pour avoir la pleine conscience de soi et la pleine conscience des autres.