etiennedesaintlaurent

Abonné·e de Mediapart

17 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 mars 2022

etiennedesaintlaurent

Abonné·e de Mediapart

Arrêtons d'élire des présidens

Contrairement à une opinion très répandue, l'élection d'un président de la République au suffrage universel n'a rien de démocratique.

etiennedesaintlaurent

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Arrêtons d’élire des présidents

Ce titre est emprunté à un livre trop peu connu écrit par Thomas Legrand, journaliste à France-Inter et paru en 2014. Sa conclusion est assez désespérante. Après avoir dressé un réquisitoire extrêmement sévère du mode d’élection de notre président et du fonctionnement de la Vème République il estime qu’aucun président n’abandonnera les pouvoirs quasi monarchiques que lui confère la Constitution. Seule une crise très grave pourrait aboutir à l’élection d’une assemblée constituante.

Il est pourtant clair que les régimes présidentiels ou à prédominance présidentielle présentent des défauts criants et qu’ils sont souvent des antichambres de dictature.

Le premier défaut consiste à croire qu’une élection d’un président au suffrage universel est particulièrement démocratique, alors que c’est l’inverse ! En effet si au premier tour un candidat n’obtient qu’environ 20% des voix, il lui faut, pour être élu, passer à plus de 50%. Or on constate, dans ce cas de figure, qu’il ne négocie aucun accord avec quiconque. Il se contente de demander un ralliement en faveur de sa personne sans changer un iota de son programme…

Tout cela parce que la logique du système veut que les électeurs choisissent une personne et non un programme politique. Et l’on aboutit au vote contraint entre deux personnalités dont aucune n’a en fait une majorité d’opinions favorables…C’est peut-être cela qu’avait bien compris Jacques Delors favori des sondages en 1994. Répondant à une question d’Anne Sinclair sur TF1, il déclare «Je ne souhaite pas être candidat à la présidentielle… J'ai beaucoup réfléchi car le pays a besoin de profondes réformes. Mais l'absence de majorité pour conduire une telle politique ne me permettrait pas de mettre ces solutions en œuvre. J'aurais le sentiment d'avoir menti aux Français. » En clair Delors savait qu’il aurait pu être élu Président mais en trompant les électeurs. Il est évident qu’aucun candidat dans les circonstances actuelles ne peut franchir la barre des 50% sans une bonne dose de mensonge.

Personne n’a oublié la déclaration  du candidat Hollande lors du célèbre discours du Bourget lors de la campagne présidentielle de 2012 : “Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance”. On sait ce qu’il en est advenu. Mais tous les présidents méritent la même critique et ce qui est grave c’est que cette distorsion entre les promesses et les réalisations sont en fait inhérentes à notre système politique.

A propos de programme je trouve personnellement très étrange qu’il y ait si peu de personnes à être choquées par les proclamations de tous les candidats à la présidence de la République. C’est devenu une habitude détestable de déclarer : « Moi, président, je déciderai ceci ou cela… » Un candidat respectueux de nos institutions devrait se contenter de dire : « Moi, président, je proposerai au Parlement de voter telle ou telle loi. » On mesure mieux là la dérive provoquée par l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Le Parlement en fait n’est plus qu’une Chambre d’enregistrement  et l’élection de députés ne sert qu’à conforter le pouvoir du prince.

Pourtant tout se passe comme si les Français continuaient, envers et contre tout, à se sentir flattés de pouvoir choisir leur monarque, quel qu’il soit, en abdiquant leurs droits élémentaires de citoyens et leur esprit critique. Il est fréquent d’entendre dire : « Il faut bien élire quelqu’un, et, s’il est élu, lui donner les moyens de gouverner, en votant pour les députés qu’il aura choisi. » Il y a là une fascination qui ressemble fort à celle du papillon qui se brûle les ailes à la lumière. Osons même l’écrire : le grand spectacle du combat de coqs du deuxième tour confine à l’hystérie collective.

Et c’est là le deuxième défaut extrêmement grave du système. A part de rares circonstances exceptionnelles, il n’y a pas d’homme providentiel. La démocratie exige des échanges, des discussions, des confrontations et de la réflexion. Cela n’est jamais simple et demande du temps. Mais il est évident que personne n’est omni-compétent  et même les meilleurs experts n’ont qu’une vision partielle de la situation. S’en remettre à une « autorité » quelle qu’elle soit est donc une solution de facilité néfaste.

Malheureusement les Français sont contaminés par leur histoire et ce qu’il faut bien appeler le mythe De Gaulle. Autant on peut admirer le courage et la clairvoyance du résistant à Pétain, autant il serait grand temps de mettre plus sérieusement en cause le fondateur de la Vème République. On sait que De Gaulle était un nostalgique de la monarchie et qu’il a songé à la rétablir. Comme militaire il ne pouvait que croire aux vertus du chef. On peut comprendre qu’on ait fait appel à lui pour résoudre la crise algérienne mais il s’est habilement servi des circonstances pour imposer ses vues.

L’instabilité gouvernementale chronique de la IVème République a permis son dénigrement systématique en grande partie immérité. Cela a conduit à justifier l’établissement d’un exécutif fort. Le leitmotiv a été d’instaurer à tous les échelons des majorités nettes et stables qui, seules, permettraient des prises de décisions efficaces. D’où ces lois électorales qui accordent des primes plutôt exorbitantes aux listes arrivées en tête. D’où cette sous-représentation congénitale des minorités et des oppositions. Or, dès qu’une assemblée, qu’elle soit nationale, départementale ou communale, dispose d’une majorité absolue, elle est dispensée de tout dialogue. Il peut y avoir des consultations apparentes, pour la galerie, alors que la décision est, en fait, déjà prise, en petit comité et dans le plus grand secret. Cela équivaut à tuer la démocratie dans l’œuf.

En ce qui concerne la décolonisation il est bon de rappeler quelques vérités. D’abord c’est Mendès-France qui a signé en 1954 les accords de Genève mettant fin à la guerre d’Indochine et c’est lui qui a reconnu la même année l’indépendance de la Tunisie.

Pour l’Algérie la guerre a éclaté à la Toussaints 1954. L’incapacité –réelle- de la IVème République a résoudre le conflit a conduit à appeler De Gaulle à la rescousse en 1958. La nouvelle Constitution est entrée en vigueur le 4 octobre de cette année. Pourtant ce n’est que le 18 mars 1962 que furent signés les accords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie.

Remarquons donc qu’à quelques mois près cette guerre a duré 4 ans avant l’arrivée au pouvoir de De Gaulle et 4 ans également après. Ensuite il est patent que l’indépendance de l’Algérie s’est faite dans des conditions désastreuses après toutes sortes de tergiversations pas vraiment franches de notre homme providentiel.

Quant à l’indépendance accordée en 1960 aux pays d’Afrique Noire, il est également très clair qu’elle a été plus apparente que réelle. La France a continué à contrôler en sous main la politique de ces pays et l’élection de leurs présidents. Car nous leur avons aussi légué généreusement notre déplorable régime présidentiel. En tout cas sur ce chapitre le bilan de la Vème République est plus que décevant.

Un autre défaut criant de notre régime présidentiel est le fait que le Président prétend être celui de tous Français alors qu’en réalité c’est le chef d’un parti. Curieusement les monarchies modernes n’ont pas ce défaut puisque les rois ou les reines n’ont qu’un rôle de représentation. Un président français se mêle de tout, dans les moindres détails, même de ce qui ne le regarde pas…Un autre aspect très choquant à mes yeux est son rôle de voyageur de commerce dans ses voyages officiels à l’étranger. Il semble ne se déplacer que pour signer des contrats et en particulier vendre des armements même à des dictateurs. On aimerait tellement être représenté par une personnalité dotée d’une hauteur de vue et d’une dignité qui puisse faire l’unanimité ou presque !

Dans un régime présidentiel il est évident que le coût d’une campagne électorale est exorbitant. Ce n’est plus du tout à l’échelle de campagnes individuelles pour être élu député. Donc un régime présidentiel est forcément dès le départ et avant même l’élection, un régime de l’argent. Qui pourrait contester que ce système est foncièrement inégalitaire et antidémocratique ?

Enfin il y a le grave problème des sondages. Dans un régime parlementaire les sondages n’ont qu’un rôle modeste car ils sont éparpillés entre les différente circonscriptions. Dans un régime présidentiel ils sont carrément nocifs. Ils orientent les choix des électeurs forcément influencés par la « côte » des candidats. Celui qui ne perce pas dans les sondages est rapidement éliminé ! Concrètement les sondages qui se prétendent neutres et scientifiques enlèvent aux citoyens leur liberté de choix.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.