Une administration française qui «organise» des «couchages dans la rue en plein hiver?» Allons donc! Hé bien venezvoir au métro de la porte de Clignancourt, juste de l'autre coté du boulevard Ney, le long de la palissade du Lycée Rabelais, devant les Bureaux de Police, de jour comme de nuit! C'est d'abord une première file, avec des matelas et descartons par terre, mal protégés par des sacs de plastique accrochés à unebarrière...
Ils sont 50 ou 100, voire davantage, hommes et femmes, mamans avecleurs enfants... qui ne se parlent pas... car ils n'ont pas les mêmes langues et neveulent pas se connaître... Chinois, Bangladais,Européens de l'Est, Africains. Ils sont là depuis la nuit dernière... ou plutôtdepuis la nuit d'avant, en fait, encore celle d'avant... même les Week Ends quandles Bureaux sont fermés...
Hier il a plutoute la journée, le vent est froid... mais il ne gèle plus !
Ils ont fuiles violences de leur pays espérant trouver asile en France... Après milledangers, les voilà arrivés, et voilà qu'ils s'alignent sagement pour se faire reconnaîtreau seul poste de Police qui leur est dédié. Pour chacun d'entre eux, c'est làun passage obligé, cette file humiliante, dormir dans la rue deux ou troisnuits... avant les étapes suivantes !
Car ce n'estlà que la mesure apéritive ! A 150 mètres de là, commence la « vraiefile », celle des 30 ou 35 qui pourront « passer dans lajournée » et qui ont été sélectionnés par la Police à 5 heures du matinparmi les premiers de la précédente file ! Parfois des policiers plusgénéreux sélectionnent plus que 30 ou 40 personnes... mais c'est à leur risque etpéril, car « s'ils ne passent pas dans la journée » ils seront obligéde revenir le soir au tout début de la première file... pour deux ou trois autresnuits !
La Police veille à ce qu'iln'y ait pas de débordement... Humaine, elle fait passer devant les mamans avec unBébé ; mais elle se garde d'intervenir quand tel ou tel groupe infiltre l'unou l'autre de ses ressortissants... Les coups ne sont pas rares !
Et une foispassé le cap des deux files, malheur à celui qui a oublié un seul original ouune seule photocopie nécessaire... il lui faut tout recommencer à zéro !
Et quand lespapiers sont enfin enregistrés avec une domiciliation dûment attestée, unepremière convocation sera envoyée dans les 15 jours où il faudra faire ànouveau la queue, mais cette fois-là directement, dans la seconde. Et ce n'estque plusieurs mois après que l'OFPRA convoquera à nouveau ces personnes pourleur signifier s'ils font partie des quelques heureux élus acceptés commedemandeurs d'Asile... D'ici là il faudra vivre dans la précarité la plus forte.
... Ce matin, unOfficier de Police s'est dirigé vers moi pour me demander pourquoi je prenaisdes photos (il est vrai que ça l'étonnait, car peu de reportages ont étéréalisés sur place). Très courtoisement il m'a dit à quel point il étaitconscient du dysfonctionnement flagrant (il suffirait d'établir un système dedistribution de tickets pour éviter une file d'attente dans la rue !) Ilse plaignait des trafics générés (des personnes dorment sur place constammentet monnayent leur place...)
Depuis juillet que le système existe,l'administration pense à réformer l'organisation, m'a-t-il dit...
C.Saint-Sernin
Paris,ce 22 / 2 / 2011