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Billet de blog 29 avril 2025

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Face aux déserts médicaux, la loi Garot ne suffit pas

Nous voulons être médecins. Nous voulons contribuer à l’effort commun. Mais nous voulons aussi pouvoir exercer dans des conditions dignes, avec les moyens nécessaires pour bien faire notre métier. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce début de semaine est marqué dans la santé publique par des journées de grève et de manifestations contre une proposition de loi de régulation de l'installation des médecins. Soutenu par l'Ordre des médecins, SOS Médecins, des médecins libéraux, étudiants et internes en médecine, ce mouvement s'oppose à la proposition de loi Garot, qui vise à lutter contre les déserts médicaux. Le premier article de cette loi a été voté début avril à l'Assemblée nationale. Le projet de loi prévoit qu'un médecin désireux de s'installer en exercice libéral ne pourra s'établir dans une zone où l'offre de soins est considérée comme suffisante, sauf en cas de cessation d'activité d'un praticien déjà en place. Depuis quelques semaines, cette proposition de loi fait beaucoup réagir : entre ceux qui accusent les médecins d’égoïsme et ceux qui dénoncent un sacrifice imposé, le débat est très tendu.

En tant qu’étudiant·es en médecine, directement concerné·e·s par notre futur mode d’exercice, nous avons besoin de rappeler une chose essentielle : refuser cette loi, ce n’est pas refuser notre mission sociale. Bien au contraire. Nous sommes pleinement conscients de l’urgence à agir pour rétablir une meilleure équité dans l’accès aux soins, et nous sommes prêts à nous engager pour changer les choses.

Oui, nous reconnaissons l’urgence de repenser l’accès aux soins. Oui, nous savons qu’il est indispensable de trouver des solutions pérennes pour pallier les déséquilibres territoriaux. Personne ne nie l’urgence. Personne ne nie notre responsabilité collective.

Mais selon nous, cette proposition de loi ne suffit pas. C’est un cache-misère qui donne l’illusion d’une réponse rapide, visible, sans s’attaquer aux racines du problème. Aujourd’hui, installer un médecin dans une zone en sous-densité médicale sans hôpital à proximité, sans infirmiers disponibles, sans structures adaptées, revient à l’envoyer en échec. Rien n’a été évoqué - du moins concrètement - sur la prévision d’un soutien au quotidien : ni logements, ni transports, ni équipes pour travailler à plusieurs. Rien non plus sur la nécessité et la priorité d’investir dans les hôpitaux de proximité, notamment en garantissant l’accès aux moyens élémentaires indispensables comme l’imagerie de base (électrocardiogrammes, radiographies, DECT fonctionnel, etc.), afin d’établir une unité de soins globale, véritablement articulée entre tous les secteurs de santé. Avant de répartir les médecins, ne faudrait-il pas commencer par garantir les moyens nécessaires pour qu’ils puissent exercer correctement ?  

La confusion est d’autant plus forte que la loi est floue sur ses modalités d’application. La redistribution se fera-t-elle à l’échelle d’une région, d’un département, d’un quartier ? Comment l’État compte-t-il actualiser le nombre de médecins par habitant au fil du temps ? Que fera-t-on si certaines spécialités manquent toujours dans des zones malgré les quotas ? Faute d’informations précises, la défiance ne peut qu’augmenter.

Nous voulons être médecins. Nous voulons contribuer à l’effort commun. Mais nous voulons aussi pouvoir exercer dans des conditions dignes, avec les moyens nécessaires pour bien faire notre métier. Un soignant contraint, isolé, découragé, n’est pas un soignant efficace. Il est impératif de traiter les médecins comme des humains à part entière, pas comme des “variables d’ajustement” d’un système défaillant.

Si nous voulons vraiment lutter contre les déserts médicaux, il faut commencer par hiérarchiser les enjeux en fonction des priorités : redonner envie aux jeunes médecins de s’installer en libéral, aujourd’hui vu comme un choix lourd et risqué, en aidant à l’installation, en proposant des structures partagées, en limitant l’isolement. Revitaliser les territoires eux-mêmes : un désert médical est avant tout un désert social. Sans écoles ou activités culturelles à proximité, sans commerces locaux, comment attirer durablement des familles et des soignants ?

Enfin, si certaines mesures vont dans le bon sens, comme l’augmentation du numerus clausus, l’ouverture des premières années de médecine dans plus de départements, les efforts pour diversifier l’origine géographique et sociale des étudiants, leurs effets prendront du temps. Rien ne se résoudra en quelques mois, ni en quelques décrets. 

                                               Un collectif d’étudiant.e.s en médecine à Sorbonne Université.

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