Je suis directeur d'école et j'exerce un métier où n'avons pas d'autres moyens que de faire grève pour nous faire entendre, car il vaut mieux ouvrir sa bouche sous couvert des syndicats que sous couvert de soi-même (c'est interdit, cela a été réaffirmé avec la loi sur « L'école de la confiance »).
Et encore, nos manifestations sont tellement sages, ordonnées et soignées comme un cahier d'écolier qu'on nous moque pour ça. Mais tant mieux, la violence n'est pas raccord avec l'école.
Et en faisant grève, nous gênons essentiellement les parents d'élèves qui soutiennent l'école, et nous donnons du grain à moudre aux bouffeurs de profs et à nos gouvernants. J'entends déjà les uns dire dans les shows d'informations : « Regardez les ces feignasses, ils ont déserté, est-ce que les pharmaciens, laborantins, infirmières, ont déserté eux ? »
J'entends les autres dire : « Ce n'est pas notre faute, c'est une période difficile, nous avons maintenu l'école ouverte, ils devraient se mobiliser pour leur pays au lieu de faire grève, je travaille jour et nuit, et j'avais le droit d'aller à Ibiza... »
Nous nous mobilisons, nous voulons garder les écoles ouvertes et ce n'est pas parce qu'on ne fait pas grève qu'on approuve. Demandez à ceux que j'ai cités plus haut.
En fait, je me demande si nos dirigeants ne se frottent pas les mains à chaque grève d'enseignants.
Alors pour reprendre l'expression macroniste, je décidé d'emmerder les bouffeurs de profs et nos gouvernants en continuant de ne pas faire grève.
Je ferai le dos rond et continuerai d'être connecté à la boite mail de l'école jusqu'à pas d'heure samedi et dimanche compris.
Je tiendrai, alors que je dois garder dans mon bureau de directeur mon jeune fils parce que sa maîtresse est en arrêt : si je le garde à la maison, je mets en difficulté les familles de ma classe. (Et non, ma femme n'a pas le droit de s’arrêter pour garder mon enfant si moi j'ai ce droit)
Je tiendrai, malgré le protocole changeant et déposé encore à la dernière minute, exposé au public avant que tout soit prêt pour l'assumer.
Je tiendrai, parce qu'on est tous d'accord pour garder les écoles ouvertes.
Je tiendrai, parce que je déteste qu'on me joue du pipeau avec un protocole intenable, invivable pour tous et qui n'est là que pour couvrir les politiques.
Je continuerai à faire tampon seul entre le protocole et les parents d'élèves qui heureusement me témoignent régulièrement leur soutien.
Je tiendrai pendant que des collègues sont pris à parti par des parents en difficulté mais aussi par les anti masques, les anti-vaccins, les anti-tests à répétition, les anti-protocoles.
Je tiendrai, alors que l'école devient une halte garderie : on y entre avec un test négatif et on en sort avec des symptômes.
Je tiendrai, alors qu'on ne parle plus pédagogie dans les écoles : on parle covid.
Je tiendrai pendant que les parents galèrent pour faire tester leur enfant.
Je tiendrai alors que des mamans infirmières, au début du mois, ouvraient leur maison pour tester toute une classe.
Je tiendrai, pendant que le bateau coule et que les directeurs écopent.
Je tiendrai pendant que la crise touche aussi le collège et qu'une nouvelle génération de bacheliers va passer une sale fin d'année.
Je tiendrai par défi parce que je suis en colère de payer le salaire et les privilèges de gouvernants méprisants et incompétents, et d'avoir voté pour la mauvaise personne.
J'ai sans doute tort de ne pas faire grève car ce n'est pas un ras le bol contre la Covid, mais bien contre un ministre et toute son œuvre au détriment des enfants et des jeunes, un ministre qui dépense les deniers de l'éducation contre le wokisme, qui va pouvoir nous payer des masques avec l'argent économisé sur les salaires de la grève, qui fait payer les autotests des enseignants à la sécu alors qu'il a rendu des sous à Bercy chaque année.
Depuis hier, les directeurs ont une nouvelle mission : rédiger les attestations de nos collègues pour qu'ils puissent aller retirer des autotests. Ce coup-ci, ce timing était bon : l'annonce était dans les boites mails de l'éducation nationale à 18h17 le 25/01. Le ministre a pu sereinement se vanter de la mesure dans la foulée à la télé.
Les masques, notre ministre s'en vante aussi, ils sont là. Non, pas tout à fait.
Heureusement, il nous reste au fond des tiroirs, les masques dit nocifs livrés l'année dernière, ceux en tissus carton pâte qui servent de filtre et finissent couleur mégot de cigarette, et les masques slips tout doux qui tiennent chaud l'hiver. Beaucoup de mes collègues ont fait le choix d'acheter eux-mêmes leurs masques.
En revanche, les masques inclusifs sont là. Pas au point. Sans essuie glace intérieur, ça ne marche pas.
Mais l'école aura tenu, grâce aux enseignants, aux directeurs, aux IEN et CPC également mais notre ministre ne pourra pas s'inclure dans cette réussite car son action est inopérante et son soutien inexistant. Il a beau se défendre, se faire passer pour un bouc émissaire, un exutoire, j'aimerais, pour le moral des troupes, qu'il cesse de s'inclure dans la réussite du maintien des écoles ouvertes : si nous avons tenu, c'est malgré Jean-Michel Blanquer. A qui revient le mérite : à celui qui ordonne sans concertation, sans jamais défendre ses troupes contre le prof bashing ou à ceux qui font tourner écoles collèges et lycées ?
Ce ministre maintient que sa porte est ouverte au dialogue, que tout est sur la table (on a paumé la table) mais pour lui, le dialogue se résume à : on dialogue et à la fin vous verrez que c'est moi qui ai raison.
Oui, nous tiendrons collectivement mais sans lui, malgré lui.
Pour terminer, ma famille a eu la covid, la moitié de ma classe a été touchée en 15 jours... verdict, je suis à mon tour à la maison avec le covid et malgré la bonne volonté de l'inspection et la mauvaise foi du ministre, il n'y a pas de remplaçant. Vous observerez que dans la foire aux questions covid du ministère, la question « Que se passe t-il quand un enseignant est absent et qu'il n'y a pas de remplaçant ? » n'est pas abordée (il ne faut pas que ça se sache et que ce soit très officiel...) Mais on est prêts.
Je suis donc en arrêt maladie, et j'en ai assez de mon chef mais je continue de faire mon travail.
Ah oui, c'est vrai qu'on ne dit pas « Arrêt maladie » pour les profs, notre ministre parle d’absentéisme. Un prof n'est pas en arrêt maladie, il est absent... encore.