« Indignez-vous, et puis quoi ? L’indignation, bien sûr, vaut mieux que la soumission, mais elle n’y met pas fin. Peut-être même l’apaise-t-elle comme la colère apaise une tension. L’indignation ressemble à la révolte. Son énergie est touchante, ses éclats séduisent et souvent rassurent, son effet est immédiat. Au mieux, c’est une prise de conscience, qui peut se développer ; au pire, c’est une agitation sans lendemain qui a le tort de donner bonne conscience à son acteur. (…) »
Une Tentation (extrait), Bernard Noël
Nous pouvons nous féliciter d’avoir le désir de changer le monde et pour se faire de nous réunir tous les jours pour créer des tentatives. C’est beau d’exprimer autant d’idées, de rêves et d’opinions mais il ne faudrait pas se projeter chacun individuellement sur le mouvement à coup d’illusions, parce ce qu’on sait tous très bien ce que devient un rassemblement qui s’exalte et se construit sur l’illusion : il termine toujours par en devenir une lui-même. Nous n’en sommes certes qu’aux balbutiements mais soyons déjà réceptifs aux critiques avant de nous nécroser dans le fascisme qui guette notre commun tout autant qu’il guette chacun de nous singulièrement.
Voulons-nous encore agir ?
On se lasse et on s’emmerde devant cette organisation policée, version simulacre d’Assemblée Générale dans laquelle chacun vient s’exprimer individuellement, publiquement et poliment. Dans laquelle on sépare chaque activités de la vie et chaque minorités en commissions comme si c’était ça la vie. Dans laquelle on reproduit ce qui a pu se passer sur des places en Espagne, en Grèce ou à New York en sachant pertinemment où ça a mené. Nous ne sommes pas Syriza et Podemos et encore moins Les Indignés et Occupy Wall Street. Il faudrait peut être arrêter de copier, développer nos propres singularités et accepter l’inconnu.
Sommes-nous le club mickey poli et mou de la politique ou un mouvement révolutionnaire ?
Supprimons toutes les tentations de bureaucratie qui se logent dans le désir d’organisation. La bureaucratie c’est la reproduction de l’Etat, de la norme, du capitalisme, de l’autoritarisme c’est la confusion et l’illusion. C’est le cloisonnement dans les cases, dans les formes pyramidales et les hiérarchies. La bureaucratie c’est la centralisation. Non Paris n’est pas le centre névralgique du mouvement ce n’est qu’une étoile de la constellation.
Voulons-nous reproduire ou changer radicalement ?
Bouchons-nous le nez devant cette orientation citoyenniste, bourgeoise, franco-française, blanche, patriarcale et hétérosexuelle qui veut nous faire croire qu’il n’existe qu’un seul moyen efficace de lutter, qu’un rapport de force n’est pas nécessaire et que les revendications universalistes et républicaines sont la norme de notre sentiment d’appartenance commun, nous savons où cela mène : au racisme qui se cache derrière la défense des valeurs républicaines sous couvert de leurs mises en dangers par des communautés minoritaire, à l’énième appel a voter pour une primaire de la gauche ou à écrire une nouvelle constitution pour mettre en place de nouveaux maîtres.
Préférons-nous être un amas de communautés désindividualisés, instables et éphémères qui multiplient les liens entre elles, luttent et réinventent le quotidien ou un bloc républicain universaliste unitaire soumis au capitalisme et à l’Etat qui reproduit la norme en souhaitant contrôler et sensurer l’apparitions de communautés diverses aux modes d’action différents ?
Empêchons toutes les récupérations ou parasitages du mouvement par les partis politiques et les syndicats dont les rangs sont encore remplis d’amoureux du pouvoir qui voient dans ce mouvement, non pas un désir de faire du commun mais une somme d’individus qui ne sont rien d’autre qu’une voix de plus dans les urnes. Refusons également de nous constituer en parti politique, nous nous réclamons de la diversité et du commun. Ne faisons pas confiance à ceux, « souffleurs de vent », qui sous couvert d’espoir n’ont fait que désespérer nos luttes tous les jours.
Qui a tué le monde ?
Brûlons les idoles du spectacle et n’en devenons surtout pas une. Abandonnons d’urgence les postures. Quittons cette ambiance euphorique sans toutefois redevenir morose. Ne soyons pas le « lieux du cool ». Ici ce n’est pas une exposition, une foire, un festival, l’assemblée nationale ou le talk-show politique. On est pas là pour entendre tout et n’importe quoi se contredire dans l’entente cordiale et sous les applaudissements. On n’est pas Woodstock, on veut être des Communes. Nous ne savons pas ce que nous sommes et c’est tant mieux. Les idoles ce sont aussi ceux qui composent les mêmes sociaux et idéologiques dans toute l’autorité de leurs postures : la bouffonnerie individualisante pour François Ruffin et l’autorité universitaire morale pour Frédéric Lordon. Nous savons ce qu’on leur doit, mais nous savons aussi qu’il arrive un moment où le père doit disparaître
La posture spectaculaire ou l’inconnu quotidien ?
Ne reproduisons pas ce contre quoi on se bat. Ne « tombons pas amoureux de nous-mêmes ». Ne soyons pas spectaculaire. Ne soyons pas une exposition coloniale. Ne fantasmons pas le mouvement. Désindividualisons. Dévirilisons. Décolonisons. Décloisonnons. Rencontrons nous. Dispersons nous. Soyons Radicaux. Soyons Fauve. Jouissons des différences. Occupons. Bloquons. Sabotons. Engueulons nous. Soyons Spontanés. Que nos luttes soient solidaires et transversales. Réinventons nous sans cesse. Donnons à notre commun le sens qu’il mérite.