nouvelobs.com - Charlotte Cieslinski, 29 juin 2018
En accusant "Lifeline" de faire "le jeu des passeurs", "Macron parle comme Trump ou Salvini"
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Si la présidence française se met à parler comme le ministre de l'Intérieur italien, c'est à dire comme des gens de l'extrême droite, on peut se poser des questions. Mais entendre ces mots dans la bouche d'Emmanuel Macron, c'est incongru et inapproprié. Si le Premier ministre italien, comme Viktor Orban en Hongrie, peuvent assumer ça, est-ce notre cas ? Sommes-nous capables de tenir le même discours que Trump, Salvini ou Orban ? Si oui, il faut le dire franchement. Mais on ne peut pas fonctionner par petites insinuations et par petites phrases. C'est bien parce que Mare Nostrum [une opération militaire et humanitaire menée par la marine italienne entre 2013 et 2014, NDLR] s'est arrêté que des bateaux comme l'"Aquarius" sont apparus.
C'est pour pallier les déficiences des Etats que les ONG ont mis à l'eau des navires de sauvetage, de façon très professionnelle.
Vous avez réalisé un documentaire à bord de l'"Aquarius", il y a deux ans, à l'époque, justement, où plusieurs ONG ont commencé à déployer des navires pour venir secourir les réfugiés...
Dire que les ONG provoquent les départs des migrants ou font le jeu des passeurs, c'est une contre-vérité. Mais c'est volontaire. Il y a quelques années, lorsque j'ai commencé à écrire des reportages sur ces gens qui partaient et qui se noyaient, et sur d'autres qui parvenaient à survivre, mais qui arrivaient dans un état pas possible sur les cotes italiennes, il n'y avait pas un seul bateau d'ONG dans la mer.
Les gardes-côtes italiens faisaient le travail pendant Mare Nostrum. Aujourd'hui, les ONG travaillent avec le centre maritime de Rome en parfaite coordination : elles sont donc parfaitement dans les clous.
Emmanuel Macron reproche pourtant à "Lifeline" d'avoir refusé de remettre les migrants aux garde-côtes de la Libye, pays d'où sont partis les réfugiés repêchés le 21 juin par les marins de l'organisation allemande. Ce reproche est-il valable ?
Il faut replacer ça dans le contexte libyen : on ne peut en aucun cas considérer que la Libye est un lieu sur ! S'il s'agit de confier aux libyens le sauvetage des migrants, cela revient à donner aux responsables d'une traite négrière le contrôle d'esclaves qui veulent fuir cet enfer libyen, par lequel ils sont obligés de passer pour accéder à la mer. Depuis peu, le MRCC, le centre maritime de Rome, change d'attitude sur ordre. Ils demandent de plus en plus aux bateaux de laisser intervenir les gardes-côtes libyens. Or tous les migrants le disent : quand ils interviennent, c'est de façon brutale. Ils prennent ceux qu'ils peuvent prendre sur leurs bateaux qui ne sont d'ailleurs pas adaptés aux sauvetages.
Les autorités libyennes parlent de centres d'accueil, de refuges… Mais les personnes repêchées sont en réalité directement emmenées en prison où elles sont maltraitées, tabassées, et à nouveaux rançonnées.
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Cette rhétorique est celle par exemple du C-Star, le bateau qui a été affrété par l'extrême droite l'été dernier et qui a tourné pendant quelques semaines de façon tout à fait ridicule pour empêcher les ONG de travailler. Ça ne peut pas être repris par la présidence française ! Que la présidence de la République se laisse prendre au piège par facilité ou par cynisme, c'est très inquiétant. On ne peut pas prôner les valeurs des droits de l'Homme et ne plus les appliquer dès que ça concerne notre pré-carré.
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