prologue : Ceci est une pièce inachevée, mais non posthume ! Elle possède deux actes achevés à ce jour, les scènes finales du troisième ne sont pas encore écrites. Côté pile de la pièce un opéra comique où on voit que l’humour n’est pas une denrée rare. Côté face ce qu’on voudrait cacher pour ne pas voir comment on traite nos Aîné(e)s actuellement.
Acte 1 : L’héroïne de ce billet, appelons-la Maria, a reçu un courrier de la banque chargée de lui verser la « pension de réversion » italienne de son défunt mari. Cette banque (privée, mandatée par l’administration) soucieuse d’une bonne gestion des deniers publics Italiens, s’attache à vérifier que la destinataire de ces quelques modestes centaines d’euros … ne soit pas morte, enfin soit toujours vivante – c’est du pareil au même et dans un sens ou dans l’autre ça fait toujours plaisir ! Maria, qui a de l’humour, a répondu dès le premier courrier « Morta ? non ancora ! » (c’est une férue d’opéra italien, vous savez celui où l’héroïne tarde toujours à mourir en faisant pleurer tout le monde) Elle s’est aussi attachée a bien envoyer tous les papiers nécessaires pour l’attester (qu’elle n’était pas encore morte) et « régulariser » sa situation. Mais un mois après voilà un deuxième courrier, totalement identique au premier …. et un mois plus tard …... un troisième, lui aussi similaire aux précédents. La banque aussi a de l’humour, c’est ce qu’on appelle le comique de répétition ! Sans nouvelle du courrier postal, des tentatives de contact avec la banque par téléphone, par courrier électronique ne donnent pas de résultat, ce qui fait dire à Maria : « c’est moi qui suis sourde et c’est eux qui n’entendent pas – mes pauvres yeux sont bien fatigués, mais ce sont eux qui ne savent pas lire mes courriers » Dans un souci d’efficacité (on ne peut que la louer s’agissant de deniers publics) la banque a suspendu les versements automatiques de ladite pension. Probablement du fait que vu l’âge de Maria, 89 ans, la réponse à la fameuse question : « êtes-vous décédée ? » aurait pu être positive … (je soupçonne d’ailleurs une grande déception chez les rédacteurs du courrier de la banque à la réception de la réponse de Maria.) L’honnêteté m’oblige à préciser que cette très affable Banque (privée) avait heureusement (enfin pas si heureusement que cela) fait le nécessaire pour que Maria ne soit pas démunie en virant la somme mensuelle par « mandat spécial ».
Acte 2 : Ces courriers de la banque (privée) l’informent donc qu’en attendant la « régularisation » de sa situation, elle doit se rendre auprès d’un guichet « WESTERN UNION ». Quelle drôle de bête se dit Maria qui se demande si elle va devoir faire un aller retour en pays anglophone pour toucher sa pension, ce que somme toute elle aurait aimé faire si les frais étaient pris en charge et surtout si elle pouvait voyager comme quand elle était jeune, ce qui est loin d’être le cas. Renseignement pris, la Poste Française, entreprise fraîchement privatisée, « société anonyme à capitaux majoritairement publics, chargée de missions de services publics » pouvait délivrer à l’heureuse bénéficiaire le petit mais néanmoins précieux subside mensuel. Hélas ... La (jeune) mariée était trop belle ... Maria a donc 89 ans, de l’humour et aussi quelques problèmes de santé qui sont venus année après année, alourdir un handicap physique déjà important. En fait elle ne peut pratiquement plus se déplacer, ne le fait qu’en étant assistée. Le moindre déplacement de quelques mètres dans sa maison est déjà une gageure, est extrêmement douloureux et nécessite un temps de récupération de plus en plus long. C’est aussi une prise de risque importante, ces derniers temps elle a chuté plusieurs fois. Dans ce cas il faut l’intervention de deux ou trois personnes pour la remettre sur pied. Bientôt elle ne pourra plus du tout se déplacer. À tout problème une solution se dit-elle avec bon sens, je vais faire une procuration pour un membre de ma famille, ça se fait pour bien d’autres choses. Aussitôt dit aussitôt fait et Maria pense même à demander à l’aimable Préposé de la Poste qui passe tous les jours déposer son courrier dans sa boite aux lettres, de bien vouloir parapher ladite procuration rédigée en sa présence ce qu’il accepte de faire. Hélas … Vous connaissez probablement la présentation caricaturale de notre Dany Boon régio/national … eh ben …hein... à la Poste… la vrai … des fois … c'est piiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiire ! On présente la procuration et le courrier pour entendre : « Madame, il est demandé que le destinataire se présente en personne, il faut donc que Madame votre Mère se présente en personne » On montre à nouveau la procuration, on explique que lorsqu’on parle d’une personne de 89 ans lourdement handicapée c’est quand même très compliqué de venir en personne. « Madame, il est demandé que le destinataire se présente en personne, il faut donc que Madame votre Mère se présente en personne » Un mois plus tard, bis repetita. À la réception du second courrier de la banque, on demande à parler à un responsable du bureau de Poste, on lui explique encore la situation, pour l’entendre à son tour déclamer : « Madame, il est demandé que le destinataire se présente en personne, il faut donc que Madame votre Mère se présente en personne » On émet l’hypothèse que la pension soit délivrée par le facteur au domicile de Maria. On nous répond doctement que l’entreprise depuis sa privatisation a subit des restructurations, des réorganisations et que maintenant c’est Définitivement Irrémédiablement Impossible. M'enfin ! On se permet l’audace de demander à Monsieur le responsable d’un des services de la Poste, Société Anonyme à capitaux majoritairement publics, chargée de missions de service public, quelle (s) solution (s) serai (en) t envisageable (s) dans cette situation…et l’on constate que la Poste aussi, manie le comique de répétition : « Madame, il est demandé que le destinataire se présente en personne, il faut donc que Madame votre Mère se présente en personne »
Acte 3 : en cours de rédaction... Nous sommes toujours dans l’attente d’une réponse de la banque depuis le premier courrier envoyé il y a trois mois. Monsieur le Médiateur de la Poste contacté s’est déclaré incompétent pour l’heure et nous a suggéré d’écrire au service ad hoc de la Poste, ce qui a été fait.
Alors...
Maria ne peut plus prendre place dans une voiture « banale », il lui faut un véhicule médicalisé. La solution consistant en l’organisation d’un déplacement en véhicule sanitaire (avec nécessairement deux ambulanciers) a été rapidement écartée du fait de son coût équivalant à plusieurs mois de la dite pension, sachant qu’on ne va pas demander à la collectivité en l’occurrence la sécurité sociale de financer un tel déplacement (ce que de toute façon elle refuserait) Des contacts ont été envisagés avec les entreprises du secteur et surtout les agriculteurs pour la location d’un véhicule tractant une remorque. Ils ont été abandonnés rapidement du fait des charges exorbitantes selon eux pour la survie de leur « petite entreprise »(coût du gasoil, de la main d’œuvre, des taxes et autres TVA, suppression des aides Européennes) Tout compte fait c’était une mauvaise idée, car il y aurait eu incompatibilité évidente avec la politique actuelle de sécurité routière, il faut savoir vivre avec son temps ! Solution écolo : on avait bien projeté d’organiser un « commando fauteuil roulant » : deux, trois gaillards pour placer et harnacher Maria dans un fauteuil/lit/brancard tout terrain équipé pour la circonstance et la pousser/tirer de son domicile à la Poste. Sur la journée, en partant tôt, ça pourrait peut-être se faire – calcul d’itinéraire – organisation des étapes pour que Maria et les bêtes de sommes puissent se désaltérer et se reposer – prévoir le pique-nique en milieu de journée– le goûter sur le chemin du retour – ça pourrait même être une belle sortie champêtre sympathique ! Hélas ! Les dieux mêmes sont contre nous cet été – la météo a toujours été défavorable. De toute façon l’on s’interroge : l’équipage pourrait-il entrer dans les locaux de la Poste ?
Alors ...
Combien de personnes dans cette situation ? Des personnes très âgées impotentes du fait de l’âge et du handicap ce n’est pas si rare ! Qui se soucie de ceux qui ont un besoin impérieux pour vivre de ces versements mensuels ? Pratiquement toutes ces personnes sont au seuil de faire le bilan de leur vie. Je sais, vous savez, que certaines d’entre elles, confrontées aux conséquences du vieil âge, se posent la question de leur utilité parmi nous. Et moi je vous dis qu’il est indigne par ces pratiques administratives rigides, versions privatisées, prétendument Éthiques et Écologiques, de conforter en eux cette question.
Pour ce qui est de Maria, je suis rassuré, elle a son humour et elle en a vu d’autres. Ces derniers temps elle prenait plaisir a me raconter des histoires drôles et autres devinettes d’antan.
Par exemple :
A femena nace maada e a more vedova (en vénitien)
La donna nasce ammalata e muore vedova (en italien)
La femme naît malade et elle meurt Veuve
Et ça l’a fait bien rire
ps : J'ai rédigé ce texte il y a quelques année et il a été publié dans le journal d'une association italienne (ACLI) du nord de la France.
Je l'ai choisi comme premier texte de ce blog en hommage à ma mère Clara, qui se trouve être la "Maria" dont je parle ici, et qui viens de nous quitter.