A propos de fraternité, en prenant connaissance de ce communiqué, je me remémore la lettre de la mère de Cédric Herrou.
Monsieur le Procureur, je vous fais une lettre……
Je suis la mère de celui contre lequel vous vous acharnez. Ma grand-mère paternelle a elle aussi, en 1918 passé la frontière d’Italie à pied, par les montagnes elle a perdu le bébé qu’elle portait au cours de ce périple (peut être a-t-elle croisé à ce moment là les grands mères de messieurs Ciotti et Estrosi, qui sait ?), elle s’est louée telle une bête de somme pour tirer les « charetons » je me souviens d’elle avec la lanière de cuir qui lui barrait le torse… Ma mère quant à elle était allemande, ma sœur est née dans les geôles de la Gestapo, elles ont été toutes deux libérées par les Américains ; C’est ce sang là qui coule pour moitié dans les veines de mes deux fils que vous avez fait arrêté jeudi, l’autre moitié étant du pur sang de Bretagne… c’est têtu un Breton, et ça n’a pas peur des tempêtes.
S’ils ne sont pas Français « de souche » (c’est ce qui reste d’un arbre mort, non?) ils ont des racines profondes et vivantes dans ce pays qui est le leur et qu’ils aiment.
Pour que vous compreniez… nous avons été « famille d’accueil pendant 25 ans. Cédric avait 5 ans, Morgan 7, quand les premiers enfants sont arrivés. Ils ont partagé leurs jouets, leur table, leur maison, leurs parents avec 15 enfants délaissés, de toutes origines, certains battus, violés…..
Alors quand Cedric vous dit que ces enfants qu’il voit sur nos chemins et nos routes de la Roya, ce sont ses frères et ses sœurs, il ne vous ment pas. Et quand il interpelle si fort les services de l’ASE, c’est qu’il en connaît les rouages.
Nous avons quatre enfants puisque ils ont accepté d’intégrer deux de ces enfants à leur famille, ce sont leur sœur et leur frère à présent et nous en sommes très fiers !
Voilà monsieur le Procureur, et tous ceux qui le traite de passeur, de trafiquant d’êtres humains et de voleur, voilà à qui vous avez à faire.
Avec tout mon respect
Mama Herrou
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Zia Oloumi Avocats, le 12 mai 2018
Communiqué
A l’occasion du procès en cassation de Cedric HERROU concernant les faits d’octobre 2016, la haute juridiction française vient d’accéder à la demande des avocats de cet agriculteur de la Roya et décidé le 9 mai 2018 de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité relative au « délit de solidarité ».
Condamné par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 8 août 2017 à 4 mois de prison avec sursis (décision non définitive), pour aide à l’entrée, au séjour et à la circulation d’étrangers en situation irrégulière, alors qu’il n’apportait que son aide humanitaire à des personnes vulnérables et en détresse, M. HERROU a formé le 11 août 2017 un pourvoi en cassation. La question posée à cette occasion tend ainsi à faire constater l’inconstitutionnalité du « délit de solidarité » réprimé par les articles L.622-1 et L.622-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
Les dispositions de ces articles permettent effectivement de réprimer le fait pour toute personne d’avoir, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation et le séjour irréguliers, d’un étranger en France même pour des actes d’aide à des fins purement humanitaires qui n’ont donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte. La possible « exemption » ou « immunité humanitaire » ne s’applique qu’au titre du seul délit d’aide au séjour irrégulier (et demain peut-être à la circulation) d’un étranger en France et non pour l’aide à l’entrée, lesquels actes peuvent pourtant parfaitement relever d’une démarche purement humanitaire et désintéressée. De même, le champ des exemptions est limité et il revient à chaque prévenu de démontrer son innocence.
La défense de Monsieur Cedric Herrou a toujours soutenu la position selon laquelle la fraternité était le socle de la République et s’opposait à une législation qui directement ou indirectement porterait atteinte à ce principe en incriminant ce qui pourrait s’analyser comme une mise en œuvre de cette devise.
Alors que les deux premiers termes de la devise de la République « liberté, égalité, fraternité » ont été reconnus comme des principes à valeur constitutionnelle, le troisième n’avait pas encore donné lieu à des décisions du Conseil constitutionnel.
De même, le Conseil, n’avait pas eu encore à se prononcer sur la constitutionnalité du « délit de solidarité ». Ainsi à trois reprises en 2013 et 2015, la Cour de cassation avait écarté comme étant irrecevables ou « présentant un caractère peu sérieux » trois questions prioritaires portant sur le « délit de solidarité » et avait refusé de les transmettre au Conseil constitutionnel. Cette fois-ci, grâce au principe de fraternité, la question est enfin transmise. A ce titre, la décision de la Haute juridiction représente une belle victoire.
Le Conseil Constitutionnel aura désormais l’occasion de préciser que le troisième terme de la devise de la République, à l’instar des deux autres est inscrit dans la Constitution comme un principe actif, et qu’il doit inspirer, guider et encadrer l’élaboration de la loi. A partir de là, c’est la jurisprudence du juge constitutionnel qui lui donnera toute sa fertilité.
De même, il aura l’occasion d’affirmer que cette valeur, inscrite au cœur de la devise de la République et au fronton des écoles et des mairies, est nécessaire à la cohésion sociale et peut-être de considérer que la rédaction des articles précités du CESEDA lui est contraire.
En effet, il semblerait de bon sens que les associations ou simples particuliers mus par un sentiment de fraternité ne puissent être inquiétés pour des aides humanitaires. Vus comme la traduction du principe de solidarité entre citoyens que doit promouvoir tout Etat moderne et même l’Union européenne, ces gestes sans contrepartie financière, devraient clairement être distingués de la vénalité des réseaux de passeurs, qui exploitent la détresse humaine pour en tirer un profit financier.
Il convient d’inverser le paradigme et considérer que l’aide à son prochain ne peut être éventuellement incriminée que s’il est démontré que cette aide avait une contrepartie financière. L’inversion de la charge de la preuve opérée dans la rédaction des articles L.622-1 et L.622-4 du CESEDA est ainsi dangereuse et porte atteinte à l’idée de la fraternité universelle chère à notre République.
Cette belle valeur de la République a été à l’origine tant de l’abolition des privilèges, que celle de l’esclavage ou la décolonisation et aujourd’hui la fraternité pose la question du contrôle des flux migratoires et des possibles mesures de protection contre l’immigration clandestine. Le concept de fraternité est plus que jamais actuel et indispensable pour recréer le lien social, respecter la dignité de l’individu, rendre plus humaine la relation entre l’administration et la personne aidée. Finalement, il permet de tenir en équilibre la « fermeté » et « l’humanité » dont parlait le président de la République actuel en janvier 2018 pour définir sa politique migratoire.
La France n’a jamais été plus forte que lorsqu’elle assumait ses valeurs aux yeux du monde. La voix de la France est portée aussi par les citoyens qui, face à la carence des autorités publiques, se saisissent directement de la devise de la République pour en faire vivre chacun des termes. Car c’est en rappelant chaque jour ces valeurs que l’Etat de droit vivra.
C’est cette « certaine idée de la France » que l’action de Cedric HERROU et d'autres citoyens ou associations humanitaires solidaires de « migrants » a portée et que les Sages auront l’occasion de promouvoir.
Maître Zia OLOUMI, Avocat
Le 11 mai 2018