Revue Projet - Entretien avec Karen Akoka, propos recueillis par Marine Carlier et Solange de Coussemaker - 26 juin 2017
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La notion de réfugié serait-elle neutre ? Non, pour la sociologue Karen Akoka, qui se penche sur son utilisation en France. La définition et les procédures d’octroi du statut n’ont cessé d’évoluer au gré de considérations politiques. Immanquablement, une politique migratoire restrictive se reflète sur le droit d’asile. Parler de « crise », ou du « problème de l’immigration », en dit plus long sur nous que sur la réalité.
Est-il juste de parler aujourd’hui de « crise des migrants » ?
Karen Akoka – Parler d’une crise des migrants en Europe voudrait dire qu’on serait face à un afflux inédit qui mettrait en danger les économies et les équilibres des pays du continent. Tous ceux qui travaillent sérieusement sur ces questions savent que l’Europe n’est pas dans un moment à ce point inédit et difficile (voir encadré). Surtout, les chiffres ne disent rien en soi. Pourquoi, ou par rapport à quoi, 1 million d’entrées serait beaucoup ? C’est notre usage des chiffres, la manière dont on les construit, dont on les sélectionne, dont on les mobilise, dont on les interprète qui est parlant. Et cela en dit long sur notre regard, sur notre représentation d’un fait social qui a existé de tout temps. C’est nous qui labellisons l’immigration comme un problème. Les uns pensent qu’on doit, malgré tout, prendre notre part du « fardeau », les autres qu’on ne peut pas l’assumer. Mais des deux côtés, on part d’un consensus largement questionnable : l’immigration pèse et pose problème. Les images diffusées par les médias viennent alimenter ces représentations en se focalisant sur le côté spectaculaire des arrivées – artificiellement concentrées dans les mêmes espaces cloisonnés qui fonctionnent comme des goulots d’étranglements – et en véhiculant l’idée que ce qui se passe à ces petites échelles est représentatif de l’échelle européenne tout entière.
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On oublie aussi de rappeler que les chiffres de l’immigration régulière sont stables en France depuis près de trois décennies.
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Il est faux de parler d’un déséquilibre économique causé par l’immigration.
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Si le moment est inédit, c’est davantage en raison des dispositifs de contrôle, de fermeture des frontières.
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La grande majorité des exilés fuient une situation imbriquée, incluant l’individuel et le collectif.
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« Être réfugié ou migrant se construisait au croisement des dispositifs d’action publique et des décisions des étrangers, selon des critères qui débordaient la question de la persécution.»
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Aujourd’hui l’asile sert de caution aux politiques migratoires restrictives, tout en étant lui-même de plus en plus restreint.
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Pour moi, un réfugié n’est, ni plus ni moins, que quelqu’un qui a réussi à obtenir le statut.
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L’ensemble de l’immigration étant perçu comme problématique, le fait d’être « favorisé » pour l’accès au statut reste aujourd’hui relatif.
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Que pensez-vous du terme « réfugiés climatiques » ?
Karen Akoka – Il est intéressant de voir que l’on utilise plus facilement le terme « réfugié climatique » que « réfugié de la faim » alors que ces deux critères sont tout autant absents de la convention de Genève. Cela en dit plus long sur « nous » que sur « eux », ceux qu’on appelle les « réfugiés ». Car cette appellation traduit la légitimité politique que la question climatique est en train d’acquérir dans nos sociétés. C’est sans doute parce que l’on commence à reconnaître notre part de responsabilité dans le changement climatique que l’on a plus de facilité à parler de réfugiés climatiques. S’agissant d’exilés qui fuient la faim ou l’absence de perspectives socioéconomique dans leur pays, nous sommes bien moins prêts à reconnaître notre responsabilité.
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