http://fondazionerrideluca.com - Erri de Luca, 19 juin 2018
Andati via
Partis
Il y a un mot, gardé serré au fond de la gorge par celui qui s’éloigne de sa maison pour longtemps, de son chez soi, de ce qu’il considère comme sa patrie. Il tient serré au fond de la gorge le mot retour, conservé comme une semence dans une poignée de terre, alors qu’il obéit au verbe partir. Je connais le siècle de ceux qui sont partis, déplacé par myriade d’un continent aux autres. J’ai visité les lieux où ils débarquèrent avec les bagages et les métiers prêts. Leurs photographies prisent alors, ont enregistré des visages sérieux et dépaysés qui cherchaient un point d’appui du regard. Puis sur les nouvelles routes ils se rassemblaient entre compatriotes, conservant le parlé, la cuisine, la musique, les fêtes, les funérailles. Ils portaient ainsi la patrie en poche.
Le retour était une parole tue, mais ils la semaient et la cultivaient comme une plante. Comment faisait-il ? Ils envoyaient les économies de leur travail à qui était resté à la maison. Ainsi ils fondaient l’économie et le droit du verbe retourner. L’Italie d’après-guerre est restée debout grâce à l’argent ramené par ses émigrés, plus que par le célèbre plan Marshall. Les émigrés envoyaient des devises de valeurs, de monnaies plus forte que la lire : c’était leur rançon et elle coïncidait avec celle de l’Italie. Les riches planquaient leur capitaux en Suisse, les émigrés avec leur économie construisaient le mot retour.
De nos jours revient un siècle de vastes migrations, sans bagages toutefois, sans l’assurance d’une destination. Pour celui qui les voit descendre d’un bateau, il semble être seulement un amas, mais c’est une erreur de perspective. Ils sont au contraire des unités singulières, comme les gouttes d’eau sur une vitre, chacune venue seule dans le voyage du vent, à bord d’un nuage, tombée d’une pluie. Chacune est capable de rester accrochée à une vitre. Chacune espère ne pas tomber en mer, autrement elle devra refaire le voyage. La plus grande partie des nouveaux hôtes de notre monde au contraire, investit ses efforts pour réaliser le plus précieux de leurs verbes plantés à l’infini : retourner.
Les années et les fatigues des départs sont justifiées par un seul jour, celui de l’embrassade avec qui est resté à la maison.
traduction e.p.