La Cimade - 27 juin 2018
L’Europe s’enferme
C’est une double clôture de grillages et de barbelés qui marque aujourd’hui la frontière serbo-hongroise. La photographie figure dans le dernier rapport d’observation publié ce mois-ci par La Cimade. Elle illustre bien l’intention de cette étude consacrée à la situation des personnes en migration aux frontières de l’espace Schengen. Le coup de projecteur porté sur quelques points névralgiques, aux frontières extérieures mais aussi intérieures, délivre un constat accablant : du dehors comme du dedans, c’est une « Europe qui s’enferme ».
Pour réaliser cette étude, une mission a été organisée en Hongrie et Serbie en février 2018 ; des observations ont été recueillies aux frontières de la France avec ses voisins (Italie, Espagne, Allemagne, Belgique) et dans les gares ; tout un travail de veille a été rassemblé, avec l’aide de partenaires, notamment l’Anafé à la frontière franco-italienne. « Nous avons voulu déconstruire le discours selon lequel il faudrait renforcer les frontières pour sauver Schengen, explique Marine De Haas, coordinatrice du rapport. On est plutôt en train de renier ce qui faisait la nature de Schengen, à savoir un espace de libre circulation et de respect des droits fondamentaux ».
C’est en 1995 que les États européens s’étaient mis d’accord sur le principe d’un vaste espace de libre circulation. Mais, depuis 2011 principalement, le Code frontières Schengen a été peu à peu détricoté dans le texte et dans la pratique, sous le prétexte abusif du risque terroriste et d’une « crise des réfugiés ». En jonglant avec les articles du Code, qui permettent une suspension provisoire pour des raisons variées mais strictement encadrées, une dizaine d’États (dont la France) en ont profité pour rétablir des contrôles systématiques à leurs frontières intérieures. Un détournement qui a permis de renforcer et de multiplier les dispositifs de surveillance et de filtrage.
Sur 68 pages illustrées d’infographies et de cartes, le rapport souligne toutes les dérives et les abus actuels : la généralisation des pratiques de refoulement, sans garantie des droits élémentaires ; la multiplication des lieux d’enfermement à l’instar des zones de transit en Hongrie où des personnes demandeuses d’asile sont automatiquement privées de liberté ; la sous-traitance des interceptions en Méditerranée aux gardes-côtes libyens ; le renforcement des activités de l’agence Frontex pour la surveillance, au détriment du sauvetage ; un délit de solidarité de plus en plus appliqué sévèrement. Et s’il y a de plus en plus de victimes, en Méditerranée ou même ailleurs, c’est parce que ce durcissement des politiques migratoires pousse celles et ceux qui migrent à prendre toujours plus de risques.
Les douze recommandations qui concluent ce rapport reprennent quelques préoccupations actuelles de La Cimade face à ces dérives : respecter de façon inconditionnelle le droit international et enjoindre les États à respecter les décisions de justice, mettre fin à l’enfermement des personnes mineures et aux contrôles systématiques à l’intérieur de l’espace Schengen, fermer l’agence Frontex « dont les missions et les actions ne sont pas compatibles avec le respect des droits fondamentaux ».
« Ce rapport constitue une illustration de notre démarche, explique Marine De Haas. C’est un plaidoyer à destination des responsables politiques mais aussi un outil pour la formation de celles et ceux qui suivent ces questions ».
Dominique Chivot
Consulter le rapport Dedans, dehors : une Europe qui s’enferme
La Cimade publie un rapport d’enquête et d’analyse sur la situation des personnes exilées aux frontières extérieures et intérieures del’espace Schengen. Nourri par des observations récoltées aux frontières de la France, de la Hongrie et en Méditerranée, ce rapport appelle les responsables politiques nationaux à changer radicalement de cap face à des logiques qui excluent, enferment, précarisent et trop souvent, tuent les personnes en migration.
Vous aurez la possibilité en suivant le lien ci-dessus de consulter le rapport en ligne, mais aussi de le télécharger une version pdf ou encore d'en faire l'acquisition dans sa version papier pour une somme modique.
Et pour accentuer encore votre envie de lire ce rapport 😎
en voici l'éditorial de Jean-Claude Mas, secrétaire général de La Cimade
Contrôles et clôtures en Europe : une voie sans issue
La mobilité des êtres humains est un fait social normal, ordinaire, aussi nécessaire qu’irréductible. Face à cette évidence historique, l’Union européenne et ses États membres répondent par une politique répressive de limitation drastique de cette mobilité, les conduisant à déployer aux frontières des dispositifs policiers et militaires relevant de périodes de guerre, à édifier des murs, installer des systèmes biométriques d’identification, empêcher les personnes migrantes d’atteindre le territoire européen via des accords de coopération indignes avec des pays comme la Libye, la Turquie, le Niger ou encore le Soudan.
Cette politique de fermeture se mène au mépris des droits humains les plus élémentaires, et au prix de pertes humaines que l’on n’imaginait plus possibles sur les routes migratoires.
Une politique du pire qui voit ainsi se développer une forme de compétition entre États, devant consacrer celui qui portera in fine la politique la plus à même de dissuader les personnes migrantes d’entrer sur son territoire national.
La France semble vouloir jouer les premiers rôles dans cette compétition désastreuse. Certes, elle n’est pas la seule, mais quand un gouvernement, et singulièrement un ministère de l’intérieur, exploite et alimente les peurs collectives par un discours sulfureux permanent, refoule les personnes aux frontières sans qu’elles aient pu faire valoir leurs droits ou durcit de façon inédite sa législation en matière de contrôle, d’expulsion et de bannissement, elle ne fait qu’encourager cette politique du pire qui se propage au sein de l’Union européenne.
La Hongrie, l’un des lieux d’observation de ce rapport, n’est pas en reste, avec la mise en place de politiques d’une grande répression, criminalisant les personnes étrangères et les organisations de défense des droits humains. Cette politique du pire génère par ailleurs, en Méditerranée, des logiques de marchandage de la part des États de part et d’autre de cet espace maritime pour demander aux gardes-côtes libyens d’intercepter les personnes migrantes et les ramener vers des geôles dénoncées jusqu’aux Nations unies.
Témoignage éclairé de cette politique, ce rapport d’observation dresse ainsi un constat sans appel de ce qui se passe à plusieurs frontières internes et externes d’une Union qui ne voit de salut que dans son propre enfermement.
Une logique enkystée et mortifère de forteresse assiégée qu’il appartient aux sociétés civiles dans leur ensemble et conjointement de dénoncer, en s’appuyant notamment sur des rapports d’observation de ce type. Le défi n’est pas simple. Il impose de changer le regard négatif sur les migrations internationales que tend à porter une partie de nos sociétés au sud et au nord de la Méditerranée. L’édification des politiques migratoires européennes doit cesser de se faire en alimentant les peurs et en mêlant migration et terrorisme. Il est nécessaire que les États aient le courage et l’ambition de penser d’autres politiques permettant d’accompagner les circulations des personnes et de protéger leurs droits fondamentaux.
 
                 
             
            