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Billet de blog 4 avril 2025

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Changements de politique de « Meta » : des utilisateurs et utilisatrices en danger

« Meta » a opéré des changements significatifs dans ses règles communautaires, redéfinissant les limites du discours autorisé sur ses plateformes. Cette décision, loin de protéger les utilisateurs, ouvre la voie à la normalisation de discours haineux et déshumanisants, en particulier à l'encontre des personnes LGBTQIA+, des femmes et des communautés marginalisées.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 7 janvier 2025, META a introduit des changements fondamentaux à ses Standards de la communauté sur les discours haineux – des changements qui ne se contentent pas de revenir sur les protections existantes pour les communautés marginalisées, mais qui favorisent activement la normalisation du discours de haine sur Facebook, Instagram et Threads.

La décision de META est inquiétante - ces modifications légitiment et banalisent un langage discriminatoire, nuisible et déshumanisant à l’encontre des personnes LGBTQIA+, des femmes et d’autres communautés marginalisées.

Ces nouvelles règles permettront explicitement l’usage de termes tels que qualifier les personnes LGBTQIA+ de "malades mentales", désigner les personnes transgenres par "ça", et caractériser les femmes comme "des propriétés" dans les communications entre utilisateurs. Ces expressions ne sont pas seulement dégradantes, elles renforcent également des stéréotypes nuisibles, longtemps utilisés pour justifier la discrimination, l’exclusion, la violence et la répression.

META affirme que ces changements n'ont été déployés qu'aux États-Unis, mais cela ne les rend pas moins pertinents pour les utilisateurs de l'UE. En tant que plateformes mondiales, Facebook et Instagram facilitent la circulation transfrontalière des contenus, ce qui signifie que les utilisateurs européens seront inévitablement exposés à ce type de discours déshumanisant et y interagiront.

En vertu du Règlement sur les services numériques (Digital Services Act - DSA), les Très Grandes Plateformes en Ligne (VLOP) comme Meta ont l'obligation légale d'évaluer et d’atténuer les risques systémiques pour les utilisateurs de l'UE, y compris ceux liés aux contenus illégaux, aux discours de haine et aux menaces contre les droits fondamentaux, tels que la dignité humaine, l'égalité et la non-discrimination—et ce, indépendamment de l’origine du contenu.

Malgré cela, la Commission européenne semble considérer que tant que ces changements de politique s’appliquent "uniquement" aux États-Unis, ils ne constituent pas une violation du DSA. Cette interprétation restrictive ignore la réalité de l’interconnexion numérique et élude précisément les risques que le DSA a été conçu pour prévenir. Si une plateforme de l’envergure de Meta établit un précédent en normalisant les discours de haine quelque part, leurs effets se feront ressentir partout.

Ce changement de politique ne se produit pas isolément. À travers l’Europe et la Méditerranée, les mouvements en faveur de l’égalité de genre et des droits des personnes LGBTQIA+ font face à une résistance croissante, allant de la montée des discours anti-genre dans les sphères politiques aux campagnes de désinformation coordonnées ciblant les groupes féministes, les communautés LGBTQIA+ et les personnes migrantes.

Dans ce contexte, la décision de META ne se limite pas à modifier un ensemble de règles – elle envoie un signal dangereux selon lequel la déshumanisation est un discours acceptable, encourageant ainsi celles et ceux qui cherchent à faire taire et à invisibiliser les voix marginalisées. En ouvrant la porte à un langage qui déshumanise activement les personnes LGBTQIA+ et les femmes, META ne se contente pas de faillir à son devoir – elle crée activement un environnement où le harcèlement, l’exclusion et les abus peuvent proliférer sans contrôle.

Les changements opérés par META exposent également la plateforme au risque de violer les lois nationales contre les discours de haine dans plusieurs États membres de l’UE, où les expressions publiques qui déshumanisent, incitent à la violence ou alimentent la haine fondée sur le genre, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre sont expressément interdites.

Ces législations n’ont pas pour seul objectif de sanctionner les auteurs de discours de haine, mais aussi d’établir des limites claires sur le type de discours qu’une société est prête à accepter. En tant que plateforme opérant dans toute l’UE, META a l’obligation légale de respecter ces lois, indépendamment des changements qu’elle apporte à ses propres politiques internes ou des pressions politiques extérieures.

En plus des obligations définies dans le Digital Services Act, les nouvelles règles de META entrent en contradiction avec les législations nationales sur les discours de haine dans plusieurs pays de l’UE, qui interdisent explicitement le langage déshumanisant ou incitant à la violence contre des individus en raison de leur genre, orientation sexuelle ou identité de genre.

Bien que la Décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil de l’UE cible principalement les discours de haine liés à la race, la religion, l’ethnicité ou l’origine nationale, de nombreux États membres ont élargi leurs cadres juridiques pour mieux refléter les réalités contemporaines de la discrimination.

En France, la Loi sur la liberté de la presse de 1881 interdit l’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination fondée sur le genre, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. En Irlande, le Criminal Justice (Incitement to Violence or Hatred and Hate Offences) Act 2023 renforce la protection des personnes LGBTQIA+ et des femmes, en criminalisant explicitement les discours de haine et les crimes de haine motivés par une hostilité envers le genre, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

En autorisant ces formes de discours déshumanisants à se propager, META entre directement en conflit avec les lois des pays dans lesquels elle opère – des lois précisément conçues pour protéger les individus contre les abus que ces nouvelles politiques facilitent.

Il est inacceptable qu’une plateforme de l’ampleur et de l’influence de META sacrifie la sécurité et la dignité fondamentales sous couvert de protéger une prétendue "liberté d’expression". Le langage déshumanisant n’est pas une opinion – c’est un discours de haine. Et il n’a pas sa place sur des plateformes qui prétendent favoriser l’inclusion et le dialogue social.

La Commission européenne, les régulateurs nationaux et les autorités de surveillance compétentes doivent agir immédiatement pour tenir META pour responsable de ces graves manquements. Les plateformes numériques opérant dans l’UE ne doivent pas seulement prévenir les préjudices et protéger leurs utilisateurs, mais aussi favoriser un environnement en ligne plus sûr et plus inclusif, où les droits fondamentaux et la dignité de chacun sont respectés.

À un moment où les mouvements pour l’égalité, la justice et les droits humains sont de plus en plus attaqués, les politiques qui légitiment la haine et la déshumanisation ne doivent pas être tolérées. Nous appelons META à annuler immédiatement ces changements préjudiciables et à s’engager de manière significative avec la société civile, les organisations LGBTQIA+ et les experts en droits humains pour développer des politiques qui respectent la dignité, les droits et la sécurité de tous les utilisateurs.

Mais cette situation met en lumière un problème plus large : nos espaces publics en ligne dépendent dangereusement des caprices d’une élite technologique milliardaire qui privilégie les profits aux droits fondamentaux. L’Europe doit investir dans des alternatives indépendantes et décentralisées, qui servent l’intérêt public plutôt que des empires privés. Un autre avenir numérique est possible—un avenir où ce sont les utilisateurs, et non les grandes entreprises, qui définissent les règles du jeu.

EuroMed Droits exprime la plus grande solidarité avec toutes les communautés visées par ces politiques néfastes et réaffirme son engagement indéfectible à défendre les droits humains et la dignité, en ligne comme hors ligne.

Marie-Christine Vergiat

Marie-Christine Vergiat, membre du Conseil exécutif d'EuroMed Droits, est une figure engagée dans la défense des droits humains et des libertés publiques. Son parcours au Parlement européen (2009-2019) au sein de la GUE/NGL (Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique) l'a amenée à travailler sur des questions fondamentales liées aux migrations, aux libertés civiles et aux droits fondamentaux.

En tant que vice-présidente de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), elle continue d'agir en faveur des droits économiques et sociaux, ainsi que des droits des migrants. Son engagement illustre une volonté constante de défendre une Europe plus juste et solidaire.

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