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Billet de blog 23 mai 2020

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Fabulette

C’est l’histoire de petites bestioles qui décidèrent un jour de faire un tour du monde

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C’est l’histoire de petites bestioles qui décidèrent un jour de faire un tour du monde. Le tour de ce monde infini peuplé, à certains endroits de géants hyperactifs rassasiés de tout et à d’autres endroits de géants manquant de ce que les premiers ont en surplus. Ces géants, se disaient nos bestioles, ont tout inventé, tout créé, tout bâti, conçu toutes les théories et vivent dans une telle certitude d’eux même qu’il sera passionnant de les connaître de l’intérieur. Ainsi, nos bestioles, ignorant elle aussi leur pouvoir, commencèrent leur voyage initiatique. Les premiers autochtones rencontrés étaient incroyablement nombreux, disciplinés et industrieux. Occupés à rejoindre puis à dépasser en force et en moyens les tribus les plus avancées, ils étaient regardés avec un mélange de crainte et d’admiration, ils étaient les géants de l’avenir, assis sur une civilisation millénaire, ils avaient franchi d’un de leur pas le chemin menant de la tradition à la modernité. La cohabitation eut, pour nos bestioles, des effets étranges. A leur contact, les géants tombaient malades et certains en mourraient. Les autres tribus les regardaient, incrédules. Celles qui savaient ce qu’est la souffrance quotidienne, les considéraient avec étonnement, les tribus concurrentes d’on ne sait quoi, semblaient les toiser. Les bestioles ont donc trouvé très naturel d’emprunter les moyens de transport à leur disposition pour aller visiter les tribus opulentes. Il régnait, dans leurs contrées, une atmosphère étrange, mélange de bien-être et de bien devenir chez les nourris condescendants et donneurs de leçons et de colère chez les autres. A les regarder de haut, ils pouvaient sembler, tous, joyeux et joueurs, très occupés d’eux-mêmes, vaquant de futilités qu’ils croyaient sérieuses à de l’important qu’ils avaient oublié. L’effet de leur rencontre fut le même, maladies et morts. Quand les géants de tous horizons ont compris qu’héberger nos bestioles leur faisait du mal, que croyez-vous qu’ils firent? Chaque tribu s’enferma sur elle, puis chez elle. Stoppant les belles machines autour desquelles ils s’affairaient, ils se sont retrouvés éloignés les uns des autres, reliés seulement par la crainte partagée, par la conscience balbutiante de leur fragilité et leur difficulté à vivre sans leurs emplois. Les parents devaient vivre avec les enfants, ils devaient apprendre à se connaître. Les géants qui depuis longtemps n’avaient plus la force d’être aux machines ne pouvaient plus être visités, enfin pour ceux qui l’avaient été. Et comme les bestioles s’invitaient sans soucis de sexe, de couleur de peau, de poids, de rang dans leur usine à donner des ordres, d’âge, de talent, de santé, d’utilité prétendue ou de déclassement construit, les géants se sont mis à douter de leur monde, ils devenaient un peu moins arrogants, ramenés qu’ils étaient à leur condition fragile. Comme le voyage des bestioles se poursuit, on ne sait pas encore ce que les géants feront après leur départ. Ils ont été si souvent inconséquents et ladres qu’il serait hasardeux d’affirmer qu’ils retiendront de leurs funestes hôtes le message adressé, qu’ils consentiront à l’humilité. Ce que savent les bestioles c’est que si ces géants ne devaient rien apprendre d’elles, elles connaissent tout un monde d’autres bestioles avides elles aussi de voyages...

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