Jamais les injustices liées aux origines n’ont été aussi criantes, qu’il s’agisse de l’accès à l’éducation, à l'emploi, au logement, à la santé, à la sécurité… et pourtant, aucune politique publique dédiée d’envergure visant à lutter contre le racisme et les discriminations raciales n’a à ce jour été mise en œuvre. Ce, malgré les appels urgents à l’action de la Défenseure des droits.
Comment est-ce possible ?
Et comment est-il possible qu’en dépit de l’urgence de cette réalité, et des enjeux nombreux et majeurs qu’elle pose d’un point de vue du droit, de l’unité du peuple français et de l’éthique, mais également politique, écologique et économique, le sujet reste absent des débats présidentiels ? Et qu’aucun.e candidat.e n’ait prévu de programme ambitieux pour y remédier ?
Nous ne voulons plus vivre comme s’il était tolérable que des millions de nos concitoyen.ne.s continuent d'être privé.e.s de leur pleine citoyenneté.
Nous appelons donc à des mesures sans précédent pour lutter contre ces inégalités qui sont aggravées par un contexte de crise sanitaire et de crise écologique qui les renforce, et de fascisation du débat public et médiatique qui fragilise notre démocratie.
Un audit national des discriminations
Nous demandons à ce que pour la première fois en France, soit conduit un grand audit national des discriminations. Mené au niveau public et privé, cet audit doit permettre de prendre la mesure de l’ampleur des discriminations dans notre société afin de mettre en place un plan d’action ambitieux pour y remédier. Ce plan d’action devra comprendre un échéancier clair et se voir allouer un budget réaliste visant à délivrer des résultats rapides et concrets.
Un problème qui ne se mesure pas ne peut pas se régler. Or, il n’existe à date aucun indicateur de mesure officiel et référent faisant état des discriminations (en particulier raciales) en France. En l’absence de tels indicateurs, il est impossible de prendre quelque décision objective pour réformer puis vérifier l’efficacité des réformes qui seraient mises en place.
Nous demandons également à ce que soit créé un Observatoire national des discriminations en France dont cet audit sera la première campagne. Cet observatoire sera placé sous la responsabilité de la Défenseure des droits et aura pour fonction première d’objectiver les discriminations à l’échelle du pays et d’être la référence pour mesurer et comprendre leur évolution. Il disposera de moyens propres pour organiser ses enquêtes et en assurer le suivi systématique sur une base annuelle ; il sera chargé de définir des protocoles permettant de réaliser des enquêtes et testings réguliers et homogènes afin de développer des indicateurs annuels fiables et transparents.
La définition des campagnes de testings à réaliser et discriminations à objectiver doit faire l’objet d’une véritable consultation démocratique, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, en particulier associatives, investies dans ce combat sur le terrain depuis des années.
En finir avec le déni et l’ethnocentrisme
Il est impératif d’en finir avec le déni vis-à-vis de notre principe universaliste et du refus de mettre en place des statistiques ethniques. Ces deux arguments servent depuis trop longtemps d’excuse pour justifier une politique de l’autruche et l’immobilisme vis-à-vis de ces problèmes qui sont systémiques.
L’argument sur l’interdiction des statistiques ethniques est erroné : les statistiques ethniques existent déjà et sont encadrées. Sont interdits les traitements de données faisant apparaître directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques des personnes ainsi que l’introduction de variables de race ou de religion dans les fichiers administratifs. Toutefois, il est possible de réaliser des statistiques à partir de données objectives (le nom, l’origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française) et de données subjectives (le ressenti d’appartenance).
L’argument universaliste est dévoyé : si nous étions réellement universalistes, il n’y aurait pas de discriminations en France. Notre histoire vis-à-vis des populations que nous avons colonisées ou accueillies sur notre territoire n’a pas été une histoire d’égalité. Elle a généré et continue de générer des inégalités systémiques que nous ne pouvons plus ignorer. Seules des politiques volontaristes de “discrimination positive” permettront d’avancer et d’atteindre cet idéal.
La preuve ? La loi Copé-Zimmermann. Votée en 2011, elle prévoyait la mise en place de quotas de 40% minimum de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance. Résultat 10 ans après : les entreprises cotées en bourse comptent en moyenne 46% de femmes et la mesure a été saluée par le Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. Néanmoins, rien n’a été fait pour les comités exécutifs jusqu’en 2021 avec la loi Rixain. Résultat : les Comex ne comptent que 21% de femmes en moyenne.
Alors oui, il est déplorable d’avoir à demander des obligations légales pour remédier à ces inégalités. Mais c’est le seul moyen. Parce que laisser le choix aux entreprises de mener ou pas des politiques antidiscriminatoires et d'inclusion c'est maintenir le statu quo : une “discrimination positive” qui ne dit pas son nom mais qui favorise les hommes, blancs, cisgenres, hétérosexuels, valides et bourgeois. C’est la raison pour laquelle ils sont majoritaires dans tous les postes d’importance (top management, élus politiques, médias....) et que la société est construite pour répondre à leurs besoins. Cela n’a rien à voir avec des compétences qui leur seraient propres et manqueraient à tou.te.s les autres.
Les politiques de “discrimination positive” ont été pensées pour rééquilibrer des situations d’inégalités historiques qui n’auraient jamais dû exister et perdureraient sans elles tant l’écart est profond. Il est donc urgent de changer le paradigme et d’étendre ces politiques au service de celleux qui en ont besoin. Elles sont nécessaires pour avancer plus vite.
Pour un modèle français de justice sociale et économique
A l’instar de l’économiste Thomas Piketty, nous proposons d’inventer “un nouveau modèle français et européen, transnational et universaliste, de lutte contre les discriminations”. “Un modèle qui replace la politique antidiscriminatoire dans le cadre plus général d’une politique sociale et économique à visée égalitaire et universelle; et un modèle qui dans le même temps assume la réalité du racisme et des discriminations et se donne les moyens de les mesurer et de les corriger, sans pour autant figer les identités, qui sont toujours plurielles et multiples”.
En effet, le recul vis-à-vis des politiques de “discrimination positive” menées par nos allié.e.s doit nous permettre de tirer des enseignements précieux. L’exemple des Etats-Unis, souvent cité comme cas réussi de politiques de “discrimination positive”, mais qui reste par ailleurs gangrené par un sexisme et racisme structurels, est particulièrement instructif dans ce qu’il nous apprend des limites desdites politiques, quand elles sont produites sans socle réellement égalitaire. C’est comme mettre un pansement sur une plaie qui n’aurait pas été désinfectée et qui continuerait à saigner, sans chance de cicatriser.
Pour véritablement en finir avec les discriminations, l’action positive doit s'inscrire dans un combat plus large pour la justice sociale et économique, être accompagnée de politiques publiques suivant un principe d’égalité réelle dans tous les domaines (face à l'éducation, aux services publics, au droit du travail…), des campagnes d’éducation de fond et une meilleure réponse contentieuse. Ce dernier point est particulièrement critique pour éviter des glissements culturels dangereux, tel que celui de voir un individu condamné à plusieurs reprises pour haine raciale se présenter aux élections présidentielles de notre pays. Nous pouvons (et nous devons) faire mieux.
Nous vous appelons donc à placer ce combat à sa place : au cœur des politiques gouvernementales. L’heure n’est plus au débat mais à l’action.
Eva GLELE et Laura DRIANCOURT, Co-fondatrice, Projet Adelphité.