evabla

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 avril 2023

evabla

Abonné·e de Mediapart

En crise

evabla

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je ne suis pas auxiliaire de vie, ouvrière dans l’industrie, caissière ou infirmière : je ne m’esquinte pas le dos à porter des patients, je ne fais pas les trois huit, je ne suis pas pressurisée par des cadences infernales dictées par la machine ou opprimée par un chef qui jouit d’exercer son petit pouvoir.

Je suis assise toute la journée dans mon fauteuil, j’écoute et je parle.

Je suis psychologue depuis 8 ans.

J’ai 33 ans et je n’en peux plus.

Pour moi, le soin était avant tout un espace où une rencontre avait lieu. Une rencontre qui offrait une issue à l’implacable répétition des misères humaines. Une porte de sortie à la souffrance. Une possibilité donner au sujet d’inventer sa manière d’être au monde.

C’est ce que j’aimais, avant.

Avant que la logique managériale ne s’empare de nos institutions de soin pour en faire des machines à broyer le sujet. Aujourd’hui, il n’y a plus de sujet, il n’y a que des symptômes à éradiquer, il n’ y a plus de rencontre, il n’y a que des actes tarifés, il n’y a plus de soignant, il n’y a que des experts de l’évaluation.

Cette logique, c’est celle qui fait de la rencontre soignante un objet marchand.

Cette logique, c’est celle qui nous demande de soigner un enfant en 8 séances.

Cette logique, c’est celle qui nous demande de répondre à l’explosion du mal être chez les jeunes « A MOYENS CONSTANTS ».

Cette logique folle est mortifère.

En pédopsychiatrie, on manque de tout alors même que la souffrance psychique s’accroit de manière exponentielle chez les enfants et les adolescents.

Depuis la crise Covid, les lits de pédiatrie sont majoritairement occupés par des adolescents qui traversent une crise suicidaire.

Depuis deux ans, je rencontre et j’écoute ces adolescents lors de leur hospitalisation en pédiatrie. Ce n’est pas seulement la crise adolescente que j’entends lorsqu’ils se racontent c’est celle de notre société tout entière.

A cela, je n’ai aucune réponse à leur apporter, je n’ai même pas l’assurance que leur souffrance sera entendue.

Je pense à ces adolescents que nous laissons sortir de pédiatrie après une tentative de suicide alors que nous les savons effondrés et sans solution de soin, et qui recommencent quelques jours après. Faute de place dans le service : d’autres adolescents arrivent qu’il nous faut prendre en charge.

Je pense à ces adolescents qui entrent dans la psychose et qui, dans les moments de perte de contact avec la réalité, racontent leur pulsion meurtrière. Ces adolescents qui luttent contre leur maladie, sans soin, si ce n’est un traitement médicamenteux.

Je pense à ces jeunes de foyer, qui décrivent l’insécurité massive qui règne dans leur lieu de vie. Evidemment, il n’y a parfois qu’un éducateur pour dix jeunes. La vie leur paraît plus douce à l’hôpital.

Je pense à ces enfants pour qui nous avons fait un signalement dans un contexte de violences intra-familiales et qui retournent vivre dans leur famille faute de place en famille d’accueil.

Je pense à ces adolescents venus d’ailleurs, qui ont connu l’horreur du parcours migratoire et que l’état ne protègera pas parce qu’ils ont raté l’évaluation de l’âge osseux.

Je pense à ces adolescents que j’ai connus et qui sont morts.

S’il y avait un baromètre de l’état du monde, ce serait l’adolescence, et je peux vous dire ô combien ça va mal. 

J’aimerai que les politiques ressentent comme moi le poids des vies gâchées par leurs décisions. Alors peut être metteraient-ils un coup d’arrêt à leur logique mortifère.

Cette logique qui tue la vie en nous.

Dès lors, il n’y a plus que la rage qui nous tienne encore debout.

Celle-là même qui s’exprime aujourd’hui dans la rue.

Cette rage là ne tarira pas puisqu’il en va de notre survie.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.