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Billet de blog 1 juillet 2015

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Un message de M. hier soir par chat sur facebook. Il a des choses à me dire. Rien de plus. "Je peux venir demain à ton bureau?" Bien sûr. Il est minuit. 

Ce matin, 11h. Un verre d'eau et nous deux. Je l'écoute. Il parle. Dans un français approximatif il débite sa vie récente en commençant par le plus futil et pour finir par le plus profond. Je sais que la première heure de politesse et de broutilles est nécessaire pour toucher le reste. Le plus dur, l'incompréhensible, le douloureux. Je sais que je ne saurais pourquoi il veut me voir qu'à la porte du bureau, juste avant de partir. Son flot de paroles hésitantes envahissent le bureau, et, sans le laisser présager, ni même en avoir conscience, il m'emmène dans son intimité et je ne sais qu'en faire, à part écouter, me taire. Attendre et le laisser se livrer à son rythme.

Tout y passe, l'appart de ses parents qu'ils viennent d'obtenir, des nouvelles de mes enfants, la garde de son neveu et sa rentrée en CP, mon voyage en Roumanie à Pâques, le cdi de son père, le cdd de sa sœur, les années vécues en bidonville qui remontent par courant d'air, sa rupture avec la Mission Locale, son refus de stage intensif de français non indemnisé, une fille, sa fiancée, sa femme presque, repartie en Roumanie, ses deux filles d'une première union laissée là bas, cette fille bien qu'il n'aime pas vraiment mais que sa mère a approuvé, cette même fille que sa mère ne veut plus voir parce qu'elle ne fait pas bien le ménage, cette même fille qu'il a appris à aimer, les 7 mois de grossesse comme un détail dans une phrase dit trop vite, sa sœur qui voulait la taper, le travail qu'il ne trouve pas, ses heures d'intérêt général qu'il n'a jamais fait et qui vont finir par ressortir sur son casier, son regard perdu, l'abandon de l'enfant à naître, le sien sûrement, ici ou là-bas parce qu'il estime ne pas avoir le choix, son rêve de le récupérer un jour, "en France on peut j'espère", ses grandes oreilles, ses cheveux gominés, son affection pour moi, son débardeur d'un blanc immaculé, ses tatouages mal finis, ses muscles saillants et ses yeux d'enfant perdu. Un débit sans pause, sans verbe, qui me torture et me dépasse. Je dois donner quelque chose, une orientation, une adresse. Je tente sans conviction une lettre d'orientation, je donne une adresse "vas y vite car tout ferme en été", j'actualise rapidement son cv. Je ne peux rien faire d'autre. Et devant la porte, l'essentiel.  "Qui décide de ma vie moi ou mes parents ? Quand je pourrais m'occuper de moi? J'ai le permis, je parle français, je suis leur chauffeur et leur traducteur depuis le début. Et maintenant ? J'ai tout fait pour eux ils ont la caf, le rsa, le travail, l'appart et moi ? Et moi j'ai quoi ? Même ma femme je peux pas l'avoir ? Dis moi, je peux pas choisir ma femme ?"

 Comme si je pouvais choisir sa vie pour lui.

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