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Billet de blog 1 octobre 2015

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L’instagram de la "newjungle"

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Sortie d’autoroute, 2 camions de CRS nous confirment que nous ne sommes pas loin. Et soudain, nous la découvrons. Ou plutôt elle nous surprend.  Nous avons beau avoir lu, vu des reportages, fait défiler des photos, lu des tribunes et des interviews… rien ne prépare à cela. Un espace qui paraît sans fin avec des blocs de bâches sans fenêtres, des toiles de tentes, de rares baraques, des sacs poubelles accrochés aux épineux, des dunes de sables et du vent. Ce qui est appelé proprement la "new jungle".

En arrivant par l’autoroute, ce que l’on voit en premier ce sont les tas d’ordures non ramassées, les tentes fatiguées et usées, les personnes hagardes et les tas de canettes d’energy drinks pour tenir les nuits de traversées. Plus loin, de l’autre côté de la jungle, on voit les files de migrants qui se dessinent derrière les voitures et les camions immatriculés en Angleterre le plus souvent, les coffres ouverts et qui distribuent, sans réelle réflexion ou connaissance des personnes, des chaussures, des litres d’huile, des kilos de riz, du pain ou des sacs de couchage.

En rentrant dans la jungle, une autre vie se révèle. Celle d’un no man’s land de la survie. Des quartiers agencés, des restaurants, plusieurs superettes bien achalandées, une discothèque, une grande église émouvante et priante, une école laïque, des mosquées, des chaussures de nouveau né devant une tente, du linge qui sèche, des toilettes estampillés par une asso, un hôpital de brousse, des robinets d’eau qui dégorgent. Et puis des enfants qui courent, des hommes qui cherchent à troquer des paquets de riz ou des litres d’huile contre des cigarettes ou un repas complets, d’autres qui se lavent les dents accroupis dans l’eau stagnante alors que les plus courageux lavent leur linge, des vélos par dizaine, et des femmes toujours à plusieurs jamais seules. Les visages sont impassibles. Blasés, fatigués. Etonnemment propres et beaux. Parfois souriant. Et presque tous jeunes comme Bryar le garçon afghan assis à côté de moi au déjeuner quand on a pris un repas chez Ahmed, “le” restaurant à l’entrée de la jungle. Il ne parle ni anglais ni français. Alors que je prends en photo sur instagram l'endroit, il me prend mon téléphone, me connecte à son compte instragram et me fait défiler ses clichés. Lui devant sa maison, devant sa voiture, avec sa petite soeur, avec les hommes de sa famille… il clique sur “suivre”. Nous n’avons aucun autre moyen d’échanger, que de partager les photos de nos vies.

Lorsque la nuit tombe, on aperçoit des grappes de 3 ou 4 jeunes, emmitouflés, excités et angoissés remonter vers les ferry ou le site Eurotunnel. Autour, tous les arbres ont été coupées pour qu’ils ne puissent se cacher. Autour des kilomètres et des kilomètres de barbelés et de grillages. Plus qu’à Berlin en 89 ou à Jérusalem en 2008.

Lorsque la nuit tombe, les questions surgissent : pourquoi installer des robinets sans évacuation pour l’eau usée ? pourquoi aucun ramassage des ordures n’est organisé ? pourquoi parquer ces migrants à plusieurs kilomètres du centre ? comment vont-ils à la pharmacie ? comment pourraient-ils mettre leurs enfants à l’école ? comment pourraient-ils déposer une demande d’asile ? comment arrivent-ils là ? combien de temps tiennent-ils ? comment vivre dans une telle promiscuité entre Syriens, Pachtounes, Soudanais, Chiites, Erythréens, Iraniens, Hazaras, Tadjiks… ? comment peut-on croire qu'ils viennent par opportunisme lorsqu'ils sont prêts à mourrir sous les roues d'un camion ? comment en arrive-t-on à couper tous les arbres sur des kilomètres pour chasser les migrants comme des lapins ? pourquoi les enfermer si nous ne voulons les accueillir ? qui ose croire encore qu’en cachant la misère on obtient la paix sociale ?

Je n’ai qu’une réponse ce soir là : ouvrir instagram et regarder la dernière photo de Bryar. Et espérer que d’autres photos continueront à être publiées et qu’un jour j’y verrais une photo du tower bridge.

Calais

19 septembre 2015

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