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Billet de blog 2 septembre 2016

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Grande Synthe, une partie bancale de la solution?

Après un rond point, une route de bitume et une guérite de surveillance. Plus loin, une autre guérite, une barrière et un gardien. Décliner son identité afin d’entrer dans le seul camp humanitaire de migrants de France : le camp de la linière à Grande Synthe.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au début, l’endroit ne ressemble à trop rien. Une caravane colorée, un large hangar pour offrir de l’ombre et de l’électricité pour charger son téléphone portable, quelques bâtiments délabrés accueillant machines à laver, des tentes blanches d’hébergement collectif, et puis, plus loin, l’alignement des baraques, appelés shelter par les humanitaires, qui ont tant défrayé la chronique à l’ouverture du site il y a maintenant six mois.

Le camp paraît large, surtout après que des nombreux shelters aient été déconstruits suite au départ de certains exilés. Certains sont colorés et tagués, des jardinets cultivés sont éparpillés entre les îlots de maisonnettes. Régulièrement, des baraquements de douches et de toilettes émergent. Comme d’autres espaces collectifs plus ou moins animés : une école pour adultes, un centre juridique, un centre médico-social, un lieu d’animation pour enfants, une cuisine collective, une tente réservée aux femmes, une supérette improvisée sur des traiteaux… l’endroit semble paisible. La rue principale est propre et goudronnée, les enfants font du vélo et tentent d’envoler des cerfs volants, les femmes sont rares mais on les devine près des maisonnettes, les hommes déambulent par deux ou trois. Dans un coin, une baraque ouverte sur un auvent propose des sandwichs. Plus loin une tente est estampillée “café”. Sous le soleil d’août, on se croirait dans un camping dans les derniers jours des vacances.

Au début, on a envie d’y croire. De se réjouir qu’un tel espace existe. De se dire qu’après ce qu’on voit à Calais, Norrent Fontes, Paris, Vintimille ou ailleurs ce pourrait être une partie de la solution.

Un peu loin du centre ville certes. Mais un endroit paisible, les personnes semblent en bonne santé, détendues, nourries à leur faim. On apprend même que certains enfants vont faire leur rentrée scolaire, tout du moins l’après-midi, dans une poignée d’écoles du secteur. Que les mineurs ont presque un espace à eux, à l’abri des adultes. Que les exilés peuvent prendre le temps pour imaginer leurs vies en France ou continuer d’essayer de passer vers la terre promise anglaise. Que les services médicaux de l’hôpital accueillent les migrants de manière suffisante pour que les associations médicales se retirent en douceur. Que les quelques commerces sont acceptés tacitement.

Et puis, la visite se poursuit.

Et le regard devient plus curieux, plus observateur. Plus pernicieux.

Et surtout plus officieux en parlant avec les acteurs.

En dehors du campement.

Illustration 1
Vue d'ensemble sur la cuisine collective, Camp de la linière, Grande Synthe. © Evangeline Masson Diez

On apprend que seules les personnes les plus vulnérables et les familles peuvent obtenir une place. Que la vulnérabilité n’est pas définie et se joue au faciès. Qu’on ne met pas pour autant les hommes à la porte mais qu’on ne leur attribue pas de place. Que la faible hauteur du grillage autour du site permet à certains de le sauter facilement. Que les passeurs distribuent les numéros de baraques plus que l’association gestionnaire. Que les places se vendent ailleurs et que seuls les exilés les plus aisés ou ceux avec les bons contacts peuvent entrer. Que les associations et les militants ne sont pas tous sur la même longueur d’onde ; que ceux engagés dans l’animation collective et du vivre ensemble se retirent dans les jours qui viennent. Que des armes circulent sur le camp, comme des drogues. Que les deux sont liés comme les coups de feux entendus de temps à autre. Qu’il y a eu des morts sur le site. Que de plus en plus de migrants développent des addictions. Que les mineurs ont cetes une tente réservée mais ouverte à tous, la journée, sans éducateur. Que toutes les communautés ne sont pas les bienvenues, et qu’il fait bon d’être kurde ou afghan pour rester longtemps. Que seule une poignée d’enfants ira à l’école et que personne n’en est réellement sûr. Qu’un père accompagne sa fille de 16 ans dans tous ses déplacements, même pour aller aux toilettes, même en pleine journée.

Mais alors quoi penser du camp de la linière et des quelques 900 personnes qui y sont enregistrés ? Faudrait-il renforcer la sécurité et le contrôle des migrants quitte à ce que de nombreux exilés refusent de s'y rendre ?

A l’heure où près de 10 000 migrants survivent dans la jungle, où quelques centaines d’autres sont expulsés tous les deux ou trois jours à Paris, quelles sont les expériences qui apportent un début de solution ? Le camp de la linière de Grande Synthe est-il une folie ? un coup d’éclat d’un Maire qui vise l’assemblée ? une inconscience désorganisée ? un bazar cautionné et maîtrisé pour éviter de tomber dans le tout sécuritaire ? ou peut-être le début d’un équilibre imparfait à améliorer… pour un temps incertain… pour convaincre d’autres communes de se donner les moyens d’accueillir, à leur mesure, selon la volonté des exilés, les migrants dans les parcours et leurs étapes ?

Illustration 2
Un enfant sur la route principale du Camp de la linière, Grande Synthe. © Evangeline Masson Diez

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