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Billet de blog 8 avril 2015

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Juste une bouteille de Coca… (Roumanie)

Après avoir croisé pendant des mois des parents accompagnés de leurs enfants sur les trottoirs des places de Bastille et de République, en pleine nuit, qu’il vente, qu’il neige ou que le soleil frappe, nous voulions comprendre. Elles disaient toutes venir de Buzau, parfois elles précisaient Pirscov.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après avoir croisé pendant des mois des parents accompagnés de leurs enfants sur les trottoirs des places de Bastille et de République, en pleine nuit, qu’il vente, qu’il neige ou que le soleil frappe, nous voulions comprendre. Elles disaient toutes venir de Buzau, parfois elles précisaient Pirscov. Elles disaient toutes que la vie était moins dure sur le bitume parisien que là-bas, à quelques heures de Bucarest. Que ce qu’ils trouvaient dans nos poubelles étaient mieux que ce qu’ils pouvaient s’offrir en travaillant chez eux. Nous n’arrivions pas à y croire. Alors nous sommes allés voir.

Pirscov, fin mars 2015. Nous avons le numéro de téléphone d’une famille. Une des rares à ne pas avoir migré. Une ruelle de boue et de terre, des ornières. Quelques maisonnettes de terre et de briques, fermées pour la plupart, souvent écroulées. Les habitants sont partis à Paris, parfois en Italie, les plus fortunés en Angleterre. De rares voitures, au réservoir vide. Des vieillards recroquevillés. Et une maison, un peu plus restaurée que les autres : celle de nos hôtes. Une famille simple dont le père travaille sur les chantiers à Bucarest, les garçons travaillent lorsqu’ils peuvent et surfent sur facebook le reste du temps, la plus jeune, aveugle, à l’institut de malvoyants à Buzau, une mère qui entretient un foyer.

Suite aux repas gargantuesques des voyages passés, nous avions peu mangé. Nous attendions une table remplie de brochettes, de côtelettes, de pains, de salmaleh, d’alcool et de jus, de mamaliga et de fruits. Nous attendions les rituels « allez mange », les verres qui trinquent et des heures autour d’une table. Nous entrons dans la véranda. Une table rustique avec 3 verres, une bouteille d’eau et une bouteille de coca. La mère s’excuse, « nous ne pouvons rien vous offrir de plus ». La journée passe, sans émotion, sans effusion, sans lamentation. Les garçons nous emmènent visiter un monastère et acceptent une pomme et quelques carrés de chocolat. On se quitte avec tendresse, tous un peu étonnés de cette rencontre.

Une semaine plus tard, je passe prendre des nouvelles de familles vivant sur un bidonville aux portes de Paris. Les baraques sont plus grandes et plus colorées que les bicoques de Pirscov. Mieux aménagées, mieux chauffées. Une église a même été installée à l’entrée avec une sono qui ferait pâlir de jalousie de nombreuses paroisses parisiennes. Devant le bidonville un camion frigorifique déverse des kilos de nourriture tout juste périmée ou dont les paquets sont déformés. A tour de rôle, les familles emportent dans leurs baraques des cartons pleins à craquer de viande sous vide, de brocolis, de yaghourts, de radis, de pain, de pommes de terre, de boîtes de conserve, de shampoing, de mouchoirs…  des kilos de nourriture rejetées de nos supermarchés mais tout à fait comestibles.

Je repense à la bouteille de Coca de Pirscov. Etonnée de ne pas avoir compris plus tôt.

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