Nous devions avoir 2 mois. 2 mois pour imaginer un autre avenir. 2 mois pour construire une défense. 2 mois pour faire valoir leurs droits. Mais la Mairie d'Aubervilliers en a décidé autrement.
Une semaine après l’audience, un nouveau papier était déposé en main propre aux habitants. A nouveau quelques uns nous harcèlent. Ils ne comprennent pas ce que cela signifie. Nous passons et récupérons le document. Il s'agit d'un arrêté municipal. La procédure est simple : le propriétaire a 72heures pour évacuer le site. Passé ce délai, la Mairie peut solliciter les forces de l'ordre pour faire appliquer la décision d'expulsion sans obligation ni de prévenir les intéressés ni de leurs proposer un abri ou un hébergement. Nous sommes perdus. Nous ne savons que conseiller. Nous sommes quasiment sûrs que le propriétaire n'agira pas sous la contrainte mais nous ne pouvons nous y engager formellement. Nous tentons, sans traducteur, d'expliquer cette nouvelle procédure qui ne remet pas en question pour autant la précédente. Après une journée, hagards, nous laissons les familles sans pouvoir les rassurer. Le soir même quelques unes rappelent l'avocate de l'épisode 1. Elles veulent faire un recours même s'il ne sera pas suspensif. Matériellement il reste 24 heures pour faire des aides juridictionnelles et déposer le recours. Nous ne pouvons suivre. L'avocate, militante et passionnée, suit les familles. Les familles s'organisent et déposent tous les élèments au cabinet le lendemain. Nous n'y croyons pas... combien de fois ont elles raté des rendez-vous de santé ou de suivi de scolarité ? Combien de fois ont elles pretexté avoir perdu leurs papiers lorsque nous avions engagé des démarches ? Cette fois-ci, c'est leur décision, elles l'assument, s'organisent et savent parfaitement mettre en oeuvre le nécessaire.
Depuis c'est le vide. Les familles errent, en attendant que le couperet tombe. Les quelques démarches engagées sont en suspens, même la scolarisation est fragilisée. Les jours passent avec crainte. Avec calme étonnement. Il faut attendre. Attendre que des robocops estampillés "Police Nationale" viennent à 6heures du matin. Attendre que les heures passent, surtout sans se projeter. Surtout ne pas y croire.
Nous devions avoir 2 mois. 2 mois pour imaginer un autre avenir. Finalement nous n'aurons rien que l'angoisse et la tension.