Porte d'Aubervilliers. Un bidonville à moitié caché comme il en existe plus de 300 en France. Nous connaissons les familles depuis 1 mois, 3 ans ou 6 ans. Toutes les semaines, nous passons les voir. Pour tenter de mettre en œuvre des démarches. C'est un groupe particulier, très organisé, travailleur, mais peu intéressé par les contraintes que sous-entendrait une insertion normative à la française.
Mercredi dernier, quelqu'un dépose des liasses de papier. On m'appelle... on ne sait pas ce que c'est précisément mais tout le monde a reconnu les documents, les noms en gras, les mots procès verbal et les photocopies de mauvaises qualités. Ca sent à plein nez l'assignation au tribunal. On m'envoie un scan... banco ! RDV mardi prochain au tribunal d'instance. En 48h, trouve un avocat, les bénévoles font des aides juridictionnelles, photocopient les cartes d'identité, les inscriptions pôle emploi, les attestations de scolarité ou de suivi médical, prennent des photos...Les familles jouent le jeu, sans grande conviction, usées et fatiguées par les procédures à répétition. De notre côté, connaissant le site, nous nous battons pour le droit sans savoir ce qu'il serait mieux pour les concernés.
Le jour J arrive. On attend l'avocate sur le perron. Les 6 hommes nommés sur le référé sont là, même celui que personne ne disait connaître. Rasés de près, chaussures cirées, chemises repassées. On attend. L'avocate arrive. On attend. 1h. S'enchaînent la misère humaine et les impayés de loyers d'HLM. 2h. La fin de la trêve hivernale ça pue, même si la juge paraît humaine. On commence à espérer. 2h 30. Les deux avocates, la nôtre et celle du propriétaire sont appelées par la juge à la barre. On les entend murmurer des choses. Notre avocate ne demande rien de fou juste que le droit soit appliqué pour tous et de manière raisonnable. Que chacun, quelque soit ses conditions de vie, puisse avoir le temps de constituer sa défense. En 3 jours ouvrés c'est impossible. Et l'urgence avancée par le propriétaire ne semblait pas le perturber pendant des mois, voir des années, tant qu'il n'était pas sous astreinte... Bref les avocates en robe noire tendent des photos, des feuilles, argumentent... juste pour obtenir un report.
Et pendant ce temps, trois fois de suite, le portable de G. sonne. Discrètement. Mais suffisamment fort pour que tout le monde l'entende... le hennissement d'un cheval envahit la salle d'audience. Le hennissement d’un cheval… drôle de sonnerie. Juste de quoi détendre et pouvoir sourire largement lorsque la juge annonce : report d'audience pour le 2 juin.
2 mois. 2 mois dérisoires. 2 mois où on peut imaginer engager des choses. 2 mois juste pour leurs dire : "vous avez des droits".