De temps en temps, on me demande de venir partager notre engagement au côté des familles vivant à la rue ou dans les bidonvilles. Je suis alors face à des militants, une poignée, cheveux grisonnants, convaincus et déjà impliqués. Parfois y traînent 1 ou 2 personnes, un peu bornées sur leurs amalgames racistes. C'est les mêmes questions, les mêmes remarques attendues, les mêmes craintes que l'on soit à Paris, à Reims, à Lyon, dans un conseil de quartier, une AG d'association, une soirée paroissiale ou une réunion de travailleurs sociaux. Souvent s'y jouent de belles rencontres de personnes passionnées, discrètes et engagées.
Dans ce sens, je dois intervenir dans une paroisse parisienne à la fin du mois. Voici comment ma venue est annoncée dans le bulletin paroissial :
Faut-il craindre les Roms ? Dans notre quartier, comme dans tout Paris, les Roms sont nombreux. Sont-ils vraiment pauvres, sont-ils organisés, se servent-ils des enfants pour attendrir le passant ? Doit-on les laisser mendier ou les aider ? Les accueillir ou les expulser ?
Dois je être choquée ou rire de ces phrases raccourcies ? Des personnes croient-elles vraiment que l'homme est suffisemment fourbe et mauvais pour "jouer le pauvre" ? Qu'un parent peut utiliser son enfant avec plaisir et par héritage culturel ? On verra mais au moins, pour une fois, je ne devrais pas m'embêter dans cette paroisse...
Au même instant où je lis ces mots, je repense à D. rencontrée hier. Après 6 ans de vie en bidonvilles et de mendicité sur les trottoirs, elle vient de reprendre une formation d'aide soignante. Ses filles s'en sortent bien à l'école. Son mari cherche du boulot après avoir été exploité au noir dans un resto. Quand je lui demande comment elle explique sa réussite, elle réfléchit puis : "je ne sais pas, graĉe à la loi, à la loi française, à la France, et peut-être aussi grâce à mes amis Français et à ma volonté." Elle y croit à la France et à la loi, cette même loi qui lui a interdit de travailler pendant plus de 5 ans, qui lui a empêché d'avoir une adresse pour faire soigner sa fille, qui l'a expulsée près d'une fois par an dans son pays, qui l'a expulsée de plus de 7 bidonvilles différents... Malgré tout ça elle aime la France. Et ne se demande pas si elle veut vraiment l'accueillir.