Après l’émotion destructrice des attentats et l’émotion revigorante de la manifestation, j’étais un peu désillusionnée ces derniers jours. Les bons articles de fond sont rares, les politiques semblent n’avoir qu’une vision sécuritaire à court terme de ce qui nous arrive et tout le monde semble oublier que nous avons créée ces monstres barbares qui ont tué 17 personnes et que nous sommes presque plus responsables que victimes de ces horreurs.
Bref je pensais à tout ça sur mon vélo jeudi matin. A un feu, une main me coupe la vue pour capter mon regard. Un homme moustachu, le teint mat, une grosse doudoune marron sur le dos. Je mets du temps à reconnaître le père d’O., côtoyé quelques temps sur un bidonville du nord de Paris. Naturellement, il me donne des nouvelles : ses filles scolarisées, son fils atteint d’un fort retard de croissance qui va commencer les injections pendant les vacances de février, ses deux frères qui travaillent, la virée à Disney en août… En l’écoutant j’essaie de me souvenir la dernière fois qu’on s’est vu : le jour de l’expulsion de son bidonville en février 2014. Moins d’un an est passé. Il a eu la chance d’avoir un hébergement pérenne et stable et de profiter d’un accompagnement social. Il a eu la chance d’avoir des bénévoles qui l’ont regardé et qui l’ont écouté. Il a eu la chance qu’un jour on lui demande son prénom et on cherche à construire, avec lui, une meilleure vie. Je dois le quitter. Je suis en retard pour ma réunion. On se souhaite la bonne année en espérant se revoir très vite.
Je pédale et reprends le fil de ma pensée. Tout n’est pas beau dans la vie du père d’O., sa sœur est retournée sur un bidonville ai-je appris par la bande, sa femme boit et oublie de s’occuper des enfants, sa nièce a fait un mariage très précoce. Mais on s’arrête à un feu rouge pour bavarder. On s’appelle par nos prénoms. On connaît nos vies, on se confie. On accepte de se faire aider car la confiance et le respect sont là.
N’est-ce pas là une partie de la solution ?
Comment expliquer ce qui a jeté un voile noir et sanglant sur la France il y a quelques temps ?
L’exclusion sociale, la ségrégation et la précarité ne sont-elles pas la mère de toutes les dérives, amalgames et extrémismes ?