Je pensais venir rencontrer des migrants. J'ai découvert une île merveilleuse couverte de lauriers fleuris et ciselée de criques d'eau turquoise. Je pensais voir la défaite de l'Europe, j'ai découvert la promesse de l'avenir.
On peut visiter Lampedusa et passer à côté de la réalité de centaines de migrants. On peut se baigner dans les eaux chaudes et oublier que se joue ici l'avenir de notre monde.
Lampedusa n'est pas scindé. Deux réalités se font face, s’ignorent parfois, se frôlent, s'entraident et se mêlent, le soir venu, en écoutant de la musique via Roma. Les habitants de Lampedusa, comme ailleurs dans d'autres villes italiennes, assument ceux qui arrivent par la mer. Ceux qui fuient violence, misère, torture et extrémiste. Ils les sortent de l'eau, leurs offrent parfois une glace, parfois un petit déjeuner, parfois des chaussures, parfois une connexion internet, parfois une conversation. C'est parfois maladroit, parfois curieux, parfois sincère. Ils font cela sans le dire. Sans l'afficher. Sans le crier. Ils le font.
Les migrants, les réfugiés, les exilés, les déplacés sont là. Ils jouent de nos frontières car leurs vies en dépendent. Ils attendent un hypothétique transfert vers une ville qu'ils ne connaissent pas et ne savent pas situer sur une carte. Ils attendent dans le “Campo" au milieu des cailloux, sans internet, sans terrain de foot, sans télévision, sans animation, sans vêtements de rechange, sans information sur leurs droits. Les Africains débarquent vêtus seulement d'un caleçon. On leur remet un short, un t-shirt et des tongs oranges et un coup de fil. Pas de rasoirs pour pas qu'ils ne les avalent. Tous les 3 jours, ils peuvent choisir entre des cigarettes, une carte de téléphone, des gâteaux ou un jus. Les repas sont toujours les mêmes : pâtes, riz et frites. Et une pomme. Tous les jours. Ils ne devaient rester que 72 heures ils sont bloqués depuis 3 semaines car les autres centres de Sicile et de Calabre sont pleins. Ils s'échappent pour voir la ville, se connecter en wifi ou juste marcher. Ils apprennent l’italien avec les jeux de mémory faits par PapaNino. Ils prient dans la rue à même le trottoir ou à l'église le dimanche. Tous gardent la foi malgré ce qu'ils ont enduré.
Ils sont tous jeunes, forts et survivants. Certains veulent aller à Paris, Nice ou Clermont Ferrand. Certains se demandent si le Canada est en Europe. D’autres veulent juste se poser, n’importe où, du moment qu’ils se sentent en sécurité.
Ils attendent, en plein été, dans une station balnéaire où les gens vivent en maillot et dépensent leurs économies de l’année. Ils découvrent l’Europe dont ils ont tant rêvé, ils découvrent une terre où ils se sentent à l’abri. Ils découvrent une terre où qu’ils ont envie de s’approprier. Mais Lampedusa est un leurre. L’été ne dure pas indéfiniment. Après l’enfer libyen et la traversée de la mer, devant eux s’étend l'absurde politique migratoire européenne.
La veille de mon départ, JohnWest, Djibril, Tony et les autres mineurs espéraient un transfert pour le lendemain. Ils avaient entendu parler de 80 places potentielles et que les mineurs et les femmes partiraient en priorité. Arrivée en France, je lis ce message de la part de JohnWest : “Nous sommes en Sicile. Chacun de son côté. Je ne sais pas où sont les autres. Tony n’a pas quitté Lampedusa.”