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Billet de blog 19 juillet 2017

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Lampedusa, journal d'un été ordinaire. Episode 5.

Se dire au revoir. Danser, chanter, rire. Ne pas pleurer. Et devenir des conquérants.

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Il y a des soirées extraordinaires. On se dit qu'il faut les garder au fond de soi, pour y revenir les jours gris. On se dit qu'il faut les hurler au monde entier. On se dit qu'il faut les murmurer pour en garder la saveur.
Hier soir c'en était une. S'il ne fallait garder qu’une soirée de Lampedusa, ce serait celle-ci.
Retrouver les garçons vers 21 heures. Regarder les touristes passer, s'étonner, se moquer et admirer leurs accoutrements. Recevoir les confidences de Djibril, 27 ans, qui a réussi à se faire passer pour mineur. L'entendre souffler que sa sœur a été violée sous ses yeux, qu'il a été enrôlé de force par les islamiques, qu’il a fuit et craint de demander l'asile pour ne pouvoir jamais revoir sa mère. Regarder leurs comptes Facebook et les chambrer de leur photo de rappeur. Dire à Mermoz qu'il semble toujours triste et soucieux. L'entendre répondre  qu'il lutte contre les souvenirs. Débattre de musique et religion. Regretter des menus répétitifs du centre et s'interroger sur la révolte du matin lorsque les migrants ont su qu’ils ne partiraient pas ce lundi. Espérer pour le prochain lundi. Se demander s’il faudrait faire la grève de la faim ou mettre le feu comme il y a quelques années. Admirer leurs cheveux qu'ils ont pu tailler dans la journée. Rêver avec JohnWest  et son envie d'être pilote, avec Ali qui veut juste apprendre à écrire pour ouvrir un compte Facebook et retrouver ses amis de la route. Laisser le vent porter la voix de Djibril quand il confie : “quand j'aurais des papiers et de l'argent je reviendrais à Lampedusa car il fait bon vivre”. Savoir que des nouveaux sont encore arrivés, et se souvenir du bruit des hélicoptères qui emmènent les plus fragiles. Regarder googlemaps et le trajet pour atteindre la France, decrire Vintimille et chuchoter Breuil-sur-Roya. Appréhender de les quitter, "tu vas nous manquer, c’est bien le soir avec toi, entre nous on ressasse". S'arrêter écouter un concert. Un chanteur séduisant, entre Bob Marley et Stefan Eicher, à la voix rocailleuse qui donne des frissons. Entendre Paolo Conte. Entendre Get Lucky et lire en même temps via Messenger que Rezan, rencontré 18 mois plus tôt à Idomeni vient d'obtenir une carte de 10ans et s'inscrit à la fac de Rennes. Danser avec Djibril, JohnWest, Ali, Mermoz et les autres. Les voir sourire, danser, rire, s’illuminer. Chanter avec eux sur Englishman made in New York. Entendre le chanteur inviter John à danser et slamer sur scène. Observer les Italiens l'admirer. Voir John et les autres se faire remercier et féliciter par des inconnus dans la rue. Se dire que tout ca n'est pas vain. Laisser Djibril conclure " C'était une soirée splendide." Et les contempler remonter la rue principale tels des conquérants.

Illustration 1
Lampedusa, côté face. Les eaux turquoises de Mare Morto. Juillet 2017. © Evangeline MD
Illustration 2
Lampedusa, côté pile. Fuir le "Campo" ou il n'y a ni télévision, ni wifi, ni activités et chercher l'ombre pour faire passer le temps. Juillet 2017. © Evangeline MD

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