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Billet de blog 20 décembre 2015

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Les 3 jungles de Calais

Arriver le matin, lorsque les corps se reposent des longues nuits d’attente et d’espérance. Errer dans le silence et le calme, siroter un café au lait sucré, ne rien faire de précis.

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Au début on ne voit que les barbelés, les CRS, les arbres coupés à perte de vue, la boue et les broussailles décharnées, l’immense étendue de tentes et de bâches. Au fur et à mesure de la journée, on voit les magasins d'alimentation, les restaurants, les lieux de culte, les salons de coiffure, le hammam, la bibliothèque, les rouleurs de cigarettes, les fours à naan, les jeunes filles main dans la main, les enfants à bicyclettes, le linge qui sèche, les brosses à dents coincées dans les cordes qui tiennent les bâches, les garçons parfaitement peignés et les vêtements immaculés, la presque fraternité de survie des dizaines de peuples qui fuient la misère, le chômage et les bombes. On oublie alors la gale galopante, les viols, les enfants non scolarisés, les nuits blanches à rêver de camions ouverts et d'essieux assez larges, les morts des derniers mois, la cupidité des passeurs, l'agressivité de la police, les violences des fascistes, les cutters vite sortis, le score de Marine Le Pen à Calais, le marché noir et les exploitants de misère.

Bavarder avec les uns et les autres, un peu avec les mots, beaucoup avec les mains et les sourires. Se régaler de riz afghan pilaf et de beignets d'oignons, observer les gens et les conséquences des politiques absurdes. Être là, aux côtés des échoués de nos sociétés, à peine majeurs pour la plupart, et en prendre conscience.

Et puis découvrir l'autre jungle. Celle des humanitaires, des militants du dimanche et des anglais. Des distributions sauvages et inéquitables. Des festivals d'arts. Des concerts improvisés, des écoles, des constructions architecturales, des lâchers de ballons et des caravanes de bénévoles aux dreadlocks et aux piercings multiples. Et hier soir, sous l'immense Dôme autogéré, le Hope Show des vendredis soirs. Une scène ouverte sortie de l'absurde, à l'image de cette jungle : une mise en scène éblouissante et minimaliste de La Tempête de Shakespeare en 5 langues, un spectacle mimé afghan racontant le périple d'un soldat perdu qui retrouve ses fils puis les abandonne, un chant d'opéra italien qui déroutent les migrants, des danseurs iraniens et un percussionniste soudanain.

Une soirée : voir les habitants de la jungle rire, frétiller, s'amuser comme des jeunes. Juste une soirée entre deux tentatives échouées de franchissement des barbelés.

Ces deux jungles se côtoient et se croisent. L’une n’existe pas sans l’autre, l’une survit grâce à l’autre. Comme ce migrant qui dort au pied du Steve Job encollé de Bansky. Qui voile d’une couverture rouge ce dernier pour demander 1€ à ceux qui veulent l'admirer.

Partir et penser à la 3ème jungle. Celle qui émerge juste du sable depuis quelques jours. Des containers creusés d’une porte et de quelques fenêtres où on fera tenir un maximum de lits superposés et des radiateurs. Un espace clos entre les barbelés et les barrières de l’autoroute dans lequel les migrants rentreront en scannant leurs empreintes et en tapant un code. Un espace sans pièce de vie collective, sans pièce pour cuisiner, se retrouver, se détendre. Il y fera chaud, il n’y pleuvra pas, il n’y aura pas de courant d’air. Mais il n’y aura aucun espace où vivre.

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