D’un côté, des camps et des squats. De l’autre, des camps et des squats.
D’un côté, des milliers de réfugiés et de déplacés répartis de manière plus ou moins spontanés. De l’autre, à peine quelques milliers de migrants sur un terrain délimité par une préfecture.
D’un côté, une présence omniprésente, dans chaque village, à chaque coin de route, au bout de chaque champ. De l’autre, une présence invisible, cachée, parquée, ignorée, à plusieurs kilomètres de la ville.
D’un côté, une répartition des sites, des interventions presque coordonnées, des ONG urgentistes et compétentes, des dizaines d’expatriés et plusieurs centaines de salariés nationaux. De l’autre, des militants, des débutants, des bonnes volontés et une connaissance plus qu’approximative de ce qui se passe, beaucoup d’Anglais, quelques Français, surtout des bénévoles.
D’un côté, des graviers, des canaux d’évacuation des eaux usées, des toilettes avec des fosses sceptiques régulièrement vidées, des douches, des bonbonnes d’eau ou des puits forés, des générateurs et des poêles à bois, des poubelles estampillées des logos d’ONG ou d’agences internationales, des kits d’abris distribués, des cartes alimentaires pour payer dans les supérettes locales, des aides d’urgence pour les besoins non alimentaires, des aides financières pour réhabiliter les squats en accord avec les propriétaires. De l’autre, de la boue, des sacs poubelles éventrées, des toilettes puantes et bouchés, des tentes qui s’envolent aux tempêtes, de rares câbles électriques qui pendent, des heures de queue pour des douches chronométrées, des robinets qui fuient et des mares d’eau stagnante, un repas quotidien distribué debout en plein courant d’air.
D’un côté, des millions d’euros, des véhicules, des engins, des kits, des écoles UNICEF avec des professeurs rémunérés et de l’assistance qui frôle l’assistanat. De l’autre, des tournées les mains nues, de la bonne volonté, des cafés et des thés au lait sirotés pendant des heures avec les personnes, des cours d’anglais et de français donnés par des bénévoles.
D’un côté, le refus de donner un statut à des déplacés bloqués depuis 4 ans, chassés de chez eux par une guerre civile. Et une logique distributive urgentiste et interventionniste qui n’arrive pas à passer à une logique de développement et qui entretient la crise économique et sociale locale. De l’autre, le refus de donner le statut de réfugiés à des personnes qui rêvent de l’autre côté de la mer. Et aucune logique ni d’urgence ni de développement, mais une bibliothèque, des églises, des mosquées, des écoles hors république tenues par la ténacité de militants, des hammams et des restaurants spontanés. Et un camp de containers inhumains, blancs, glacés, hors normes internationales, qui rappelle les pires heures de l’histoire européenne.
D’un côté, des camps presque 3 étoiles. De l’autre, un chaos pire qu’une jungle.
Des deux côtés, de l’exploitation, de la maltraitance, de la misère, des tensions, des personnes exaspérées, effrayées, abandonnées. Qu’ils soient réfugiés, déplacés, migrants, voisins et locaux.
D’un côté, le Liban et la Vallée de l’Akkar. De l’autre, la France et Calais. Et un équilibre qui paraît impossible à définir.
Pourquoi ?
Parce qu’il est plus simple d’intervenir au bout du monde qu’en bas de chez soi ? Parce que nous sommes trop orgueilleux pour demander l’intervention du HCR ?
Parce que la France est un État de droit ? Parce qu’assigner l’Etat empêche de pallier à ses manques ?
Parce que nos associations sont trop liées à nos décideurs et aux subventions publiques pour s’opposer à ces derniers ?
Parce que nous sommes toujours et encore effrayés par le fantasme de l’appel d’air si nous accueillons convenablement les migrants, en respect des normes humanitaires internationales ? Parce que nous espérons qu’en les accueillant de manière aussi maltraitante et inhumaine, ils ne viendront pas ?
Parce que personne ne veut prendre conscience que ces situations font grandir des générations d’analphabètes, de déracinés, de laissés pour compte ?
Parce que tant que l’on n’admettra pas qu’il y a des bidonvilles en France, nous ne nous donnerons pas les moyens de les faire disparaître?
Parce qu’il est tétanisant d’ouvrir les yeux.