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Billet de blog 29 janvier 2016

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Liban #Syriens - La France ou Dubaï ?

Retour d’une petite semaine dans le nord du Liban aux côtés d’une association qui intervient auprès des déplacés Syriens. Un pays où aujourd’hui vit un réfugié pour trois Libanais. Un pays à bout. Partir pour être au début de l’histoire, si un début existe, pour comprendre ce qui se déroule ailleurs. Revenir avec de l’incompréhension, de la crainte pour la suite, et mille questions.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans la cour du parking qui jouxte la mosquée, je fume une cigarette avec W. Nous avons passé la matinée à rencontrer quelques familles vivant dans des garages aménagés ou des maisons inachevées. Des familles Syriennes de la classe moyenne ou pauvre qui louent une petite fortune quelques mètres carrés à des propriétaires plus ou moins désintéressés. Des familles dont les enfants nés ces 4 dernières années n’ont quasiment jamais d’état civil, dont les enfants ne vont qu’exceptionnellement à l’école, dont les parents n’ont pas le droit de travail.

W. est lui aussi Syrien, d’Homs. Il a mis 4 heures à me l’avouer. D’une famille plus aisée et avec des relations. Il est arrivé il y a 3 ans avec sa femme qui poursuit ses études par correspondance, sa mère et sa soeur handicapée. Il y a 8 mois il a eu un garçon pour qui il a réussi à récupérer un acte de naissance en payant 100€ un intermédiaire qui a fait la queue pour lui, des heures, à l’ambassade syrienne. Son père fait des aller-retours entre Homs et le Liban, ne pouvant se résigner à abandonner leur maison là-haut. W a fait des études supérieures, parle anglais et grâce à un ami haut placé, il travaille pour une ONG. Illégalement mais pour un salaire raisonnable. Son frère est à Dubaï, son cousin à Londres, son oncle en Turquie et ses copains en Allemagne.

Les réfugiés, de tous bords politiques et de toutes obédiences, sont à l’image de ce qu’était la Syrie : les milliardaires vivent à Beyrouth ou Tripoli et flambent au Casino, les paysans construisent des baraques de plastiques au bord des champs où ils étaient ouvriers agricoles saisonniers avant la guerre, les classes moyennes louent des garages ou occupent des immeubles inachevés, les plus riches trouvent des appartements dans les villes.

W. veut quitter le Liban. Il ne supporte plus d’être perçu comme l’intolérable, l’opportuniste, le profiteur. Il veut partir, ailleurs, et construire une meilleure vie, avec plus de moyens, pour lui et son fils. Même sans la guerre, il serait parti. Comme quelques uns, la guerre n’a été que le déclencheur d’un vieux rêve. Cette guerre fratricide et civile n’a fait que rendre le départ plus simple. Le Liban n’est qu’une étape. En voyant le flot passé les frontières, il s’imagine à son tour en France. Sans passer par la mer d’après les conseils de ses amis, plutôt par le nord ou l’est de l’Europe. J’essaie de lui dire ce qu’il l’attend en France : les bords de Seine, sous les ponts et Calais. Il ne peut me croire. “Ce n’est pas vrai ce que tu dis, c’est le pays des Droits. C’est la France, un pays riche… et puis il y a tellement peu de réfugiés, je trouverais forcément une meilleure solution.” C’est vrai, les choses ne sont pas comparables, les 6000 migrants du Calaisis n’ont rien à voir avec les centaines de milliers réfugiés au Liban. “Mes amis en Allemagne me disent que c’est bien là-bas, qu’ils ont de l’aide, un appartement, de l’argent. Mais moi j’aimerais la France.” J’essaie de trouver les mots, de lui décrire la Jungle, sans électricité, avec quelques robinets d’eau en plein air, les douches de 6 minutes après avoir fait 18h la queue, les toilettes bouchées, les tentes qui prennent l’eau et qui s’envolent les soirs de tempêtes… Très vite, je ne dis plus rien. Je vois qu’il ne m’écoute pas. Comme pour lui même, il ajoute “au pire, ça vaut le coup”.

 Et puis, il rallume une cigarette et murmure qu’il essaiera sinon Dubaï. “Au moins à Dubaï tu te fais exploiter mais tu gagnes de l’argent…”

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