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Billet de blog 23 septembre 2023

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"Une île et une nuit" : à l'abordage, camarades!

Parce que la salle obscure n'est pas qu'un endroit de consommation ou de philistinisme, je vous parle rapidement du film "Une île et une nuit", un film de fiction réalisé collectivement par les habitant·e·s et usager·e·s du Quartier Libre des Lentillères. À voir à Dijon, Lyon (ce soir), Villeurbanne (demain), Arvière, Chalon et Grenoble, moussaillons!

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ahoy, camarades! Les pirates des Lentillères partent à l'abordage des salles obscures et du capitalisme bétonnier et viennent nous conter les récits de leurs aventures. "Auto-produit, auto-diffusé, basé sur la participation bénévole, ce film tourné sur pellicule argentique 16mm s'est construit au fil de la vie du lieu, en corrélation avec celle-ci, au rythme des événements et des saisons. De l'écriture au montage en passant par le tournage, chaque étape a été collective et participative, dans une démarche de partage de savoir-faire ouverte à tous·tes" (https://piratesdeslentilleres.net/#hide2).

Ces forbans débordent d'idées ingénieuses et utilisent de nombreux moyens (collages, comédie musicale, clips, caricatures, effets d'optique par exemple) pour conquérir un océan cinématographique infesté de requins, contre vents et marées, tempêtes et vaisseaux colossaux de la flotte royale. En ce sens, la métaphore miroir entre navire et maison, qui appartiennent tous deux au même champ sémantique du "bâtiment", dont l'usage et l'illustration fait différer son sens entre vaisseau pirate chargé d'histoire et de récits et chalutier, de métal ou de béton, vampirisant l'espace et qui écrase le vivant sur son passage ; entre foyer et simple structure bâtie, est une très bonne trouvaille. Une idée déjà rencontrée dans l'excellent The House (De Swaef, Roels, Von Bach et Baeza, 2022) et qui ne perd pas en efficacité en l'associant à la piraterie, au vivant et aux vivants.

D'autant que cela s'accompagne d'une mise en scène tantôt près des corps, première cibles du pouvoir oppressif, tantôt développant la profondeur du cadre pour intégrer ces corps dans leur environnement, les y ancrant de sorte qu'ils n'en soient pas détachables, sans qu'ils en soient pour autant les maîtres (les chefs, pour coller au leitmotiv des corsaires adeptes de développement durable).

Les deux premières parties séduisent inévitablement par leur beauté formelle, parfois "bricolée", des dialogues inspirés et des récits captivant bien qu'on ne les comprenne pas tous (le film faisant le choix intelligent de recueillir onze langues différentes, sans sous-titre, un parti pris qui terrifierait un cinéaste de renom également attaché à l'univers maritime...) permettant de traduire l'universalité et de faire non seulement de la parole mais aussi de l'écoute des actions, plus que du seul langage ou une attitude passive.
La troisième partie souffre hélas - à mon sens - de quelques trous dans la coque, notamment dans son rythme ou sa manière parfois de matérialiser l'oppression et de la combattre. Il s'agit toutefois de l'expression du ressenti et du vécu des premiers acteurs de la lutte, qu'il convient de respecter et de percevoir en ce sens. Elle n'en recèle pas moins de bonnes idées et de moments marquants (la scène du conseil par exemple) et d'une superbe dernière séquence. 

Félicitons ces valeureux pirates des Lentillères qui ont pris leurs sabres et caméra pour conter leur lutte à travers une fiction d'aventure, construisant un imaginaire singulier pour l'ancrer dans le réel, dans les problématiques qu'ils rencontrent. Honorons leur pavillon en allant leur rendre visite dans les salles qu'ils assaillent.
Il est temps de changer de cap, et votre compas vous suggère de mouiller au plus vite dans un port qui diffuse ce film: Ce soir, 19h30 à l'Annexe, Lyon; Demain, à 18h à l'île Égalité, Villeurbanne; Mardi 26 à la ferme Blada, Arvière-en-Valromey; Mercredi 27 à la Méandre, Chalon-Sur-Saone; Jeudi 28, au 38 - centre social tchoukar, Grenoble.

"À vos chaloupes camarades!"

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