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Billet de blog 27 juillet 2023

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Suicide assisté: paroles de psy

Réponse à "L'appel des psys sur la fin de vie : aide au suicide ou suicide médicalement administré ?" (Tribune du Nouvel Obs)

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« Pourquoi une société en crise en vient-elle à réclamer si massivement de pouvoir recevoir la mort par le corps médical ? »

Parce que la mort demeure une liberté suprême et qu’en crise, ou pas, une société demeure pétrie de contradictions. L’idée du suicide est tout aussi salutaire à la vie qu’elle l’est au corps social. Qui ne s’est jamais autorisé intérieurement à se dire que « tout pourrait être fini » dès lors que la vie nous accable ? Certes, il s’agit bien ici de l’idée du suicide et non d’une effectuation tangible. Mais, c’est justement cette possibilité, cette idée, qui rend l’air respirable, ne serait-ce qu’un instant, et ce, particulièrement dès lors qu’une société traverse une crise. Néanmoins, il semble qu’aujourd’hui le terme même de crise soit dépassée. La crise suppose un tempo, un cycle, une fin. Un ailleurs potentiellement meilleur. Or, à y regarder de plus près, c’est de désespérance dont souffre aujourd’hui la société. Point de salut ici-bas pour ceux qui se confrontent au douloureux exercice de la lucidité.
L’idée du suicide nous est indispensable pour vivre. Dès lors qu’il est envisageable qu’à un moment de notre vie, malade ou impotent, nous ne disposions plus de cette ultime liberté face à l’existence, c’est un souffle de vie qui meurt au cœur même de l’existant. Une condamnation, certes fantasmatique et eidétique, à la perte de ce souffle vital qui contribue à envisager le moins douloureusement possible nos souffrances les plus abjectes. Faudrait-il donc priver ceux qui techniquement ou psychiquement ne peuvent le faire de l’idée du suicide ?

Pourquoi se tourner vers le corps médical ? Oui, donner la mort ne fait pas partie des attributions des soignants. Faudrait-il rétablir les bourreaux, véritables machines de mort déshumanisés, pour éviter à tout un corps professionnel de se confronter à la douloureuse mais néanmoins tout à fait centrale question de la mort, en tant qu’elle demeure une des dimensions du soin ? Combien d’euthanasies, de suicides assistés illégaux aujourd’hui en France ? Combien de soignants contraints au silence et à la solitude car ne pouvant exclure de leur prise en charge l’épineuse question de la souffrance, physique ou psychique de leur patient. Combien de soignants privés de la liberté d’échanger, de penser cette question sans crainte que sanctions pleuvent ?

Pourquoi demander à recevoir la mort du corps médical ? Peut-être parce que recevoir la mort, dans le cadre de conditions spécifiques, fait partie du soin. Peut-être parce que l’image du soignant est toujours bonne aux yeux de la société : un sachant, soumis à une déontologie, un être de confiance, « quelqu’un sur qui on peut compter quand ça va mal » et même très mal. Quelqu’un pour nous accompagner dans ce chemin. Pour ne pas être seul mais contenu par le « système » médical, rempart hypothétique contre l’angoisse que peut traverser tout être humain souhaitant un suicide assisté. Parce que la mort fait partie de la vie, et qu’elle doit être penser comme telle par ceux qui se sont voués à « sauver des vies ». « Sauver une vie », c’est parfois accepter que cela équivaut à « aider à mourir ». Au cas par cas, il en va de soi. Avec tous les garde-fous qu’il sera nécessaire d’envisager, certes.

A quel prix doit-on payer cet impensable de la mort au cœur de nos vies et de nos pratiques ? La mort est un mystère. Chez le fondateur de la psychanalyse, elle n’existe pas dans l’inconscient car elle fait partie de l’irreprésentable. La confrontation subite et imprévue au réel de la mort nous terrasse d’effroi et le psychotraumatisme advient. Instinctivement, le psychisme tend à se dissocier. Mieux vaut être deux plutôt que de croiser la mort, quitte à se désubjectiver et fragmenter toute son histoire derrière.

Ici, il n’est pas tant question de se représenter la mort (sous-entendu sa propre mort, car cela revient souvent à cela). Il s’agit plutôt d’autoriser l’angoisse par la pensée à laisser entrer dans le champ des représentations une autre vision de la mort.

La loi interdit. Elle autorise aussi. Et chez la majorité d’entre nous, une loi sur le suicide assisté rendrait vie à l’idée du suicide, à cette béquille dans l’existence, dès lors que nous n’en sommes qu’au stade de la projection.

Au moment de l’effectuation, c’est une liberté suprême. Qui a le droit de refuser à un être humain de mourir dans des conditions décentes, rassurantes ? Quelle société majore la souffrance de la pathologie somatique par la souffrance psychique de se voir obliger de rester en vie sans aucune échappatoire possible ? Le suicide assisté est une ode à la liberté. Une liberté légale certes. Peut-être une des dernières libertés concrètes que nous pourrions avoir.

Inclure la possibilité d’envisager la mort comme soin. Là est la condition de possibilité du soin. Du soin véritable. Celui qui entend la souffrance dans toutes ses dimensions et ne se cache pas derrière ses angoisses. L’interdit du suicide assisté n’est pas structurant aujourd’hui dans le soin. Bien au contraire, il gèle nos capacités de penser ou pire, le déshumanise. Pas d’humanité sans finitude, ce qu’il nous reste d’universel à l’heure des grandes inégalités. Pas de soin sans prise en compte de l’acte de mort.

Que la société actuelle valorise le jeunisme, la toute-puissance, etc. nous avons aujourd’hui les moyens de le déconstruire et de faire infuser d’autres valeurs par le débat, la création et l’expression. Mais que faites-vous, psy que vous êtes, des souffrances narcissiques de celles et ceux qui pourraient demander aujourd’hui un suicide assisté ? Leur proposez-vous des cours de déconstruction accéléré afin qu’ils acceptent leur état, alors que, déjà marginalisés, ils ne sont le support que d’une addition de souffrances ?

Qui nous certifie que ces valeurs, quoique nous puissions en penser, auront changé et qu’à l’aune de la maladie et des velléités du suicide assisté, celles-ci ne perdurent encore ? Qui sommes-nous, nous les psy, pour prédire d’un changement de personnalité à l’approche de la mort ? Parfois cela arrive. Parfois non. Ne peut-on pas réguler les conditions de la mise en place du suicide assisté par une législation sérieuse inspirée d’une réflexion approfondie du comité d’éthique ?

« La société fondée sur la toute-puissance des individus réclamateurs » est bien celle dans laquelle nous vivons. Cela ne vous aura sûrement pas échappé mais aujourd’hui, beaucoup réclament et peu obtiennent. L’individualisme est là depuis longtemps. Pourquoi penser la question du suicide assisté collectivement serait-il simplement une réponse à la toute-puissance individualiste ? Est-ce qu’au contraire, la société, la loi réelle, la loi symbolique, ne pourrait-elle pas pour une fois se mettre au travail sur une question métaphysique ? Recréer un lien tangible qui fasse corps autour de cette question bien plus collective qu’il n’y parait du choix à mourir. Ne pouvons-nous pas penser ce choix à plusieurs plutôt que renvoyer chacun à sa situation individuelle : au riche, le Luxembourg, au pauvre, l’agonie.

Les dispositifs législatifs répondent toujours aux questions humaines plurielles et variées. C’est la raison pour laquelle il y a des juges. En droit, on parle de l’individualisation de la peine. Cette loi en construction interdirait et autoriserait certes selon des substrats généraux mais elle ne ferait pas l’économie du traitement judiciaire des singularités. Sans cela, ce ne serait pas une loi.

Du côté des psy, la question est épineuse. Et il n’est pas étonnant que cette tribune soit signée majoritairement par des psychiatres qui, en leur qualité de personnel médical pourraient faire l’objet de telles demandes. Je ne pense pas que le champ psy soit celui amené à fournir une réponse au patient qui ferait la demande d’un suicide assisté. Je pense que l’évaluation de cette demande, le diagnostic, l’élaboration, la remise au travail du sens, l’ouverture de fenêtres thérapeutiques font partie de nos prérogatives. Nous ne répondons pas à la demande, nous la mettons au travail. Bien que les psy aient leur mot à dire sur la question, le suicide assisté ne doit en rien s’immiscer, dans sa dimension décisionnaire, dans le champ de la psychiatrie.

Certes, l’hôpital est à la dérive. Mais en ces temps troublés, il parait presqu’aussi urgent de penser nos morts que de se battre pour que le soin, dépoussiérés de ses dénis, puisse perdurer. Nous ne ferons pas l’économie de la mort.

Eva Triolet, psychologue clinicienne hospitalière

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