Au Havre, les différents lieux d'accueil pour les personnes âgées dépendantes sont regroupés administrativement dans un même EHPAD pouvant accueillir 650 personnes.
Edouard Philippe, Maire du Havre, est président des Conseils d'administration tant de cet EPAHD que du Groupement hospitalier du Havre (GHH).
La mauvaise gestion de l’établissement a déjà été constatée dès 2020 par la Chambre régionale de comptes, qui pointe le turn-over du personnel de direction et l'absence de projet d'établissement.
Le service est particulièrement dégradé. Un tract de la CGT en juin 2022 appelle au soutien de la population. Il dénonce le sous-effectif récurrent, le rappel du personnel du personnel en congés ou en repos, la souffrance physique et morale, des situations de mise en danger des résidents et les toilettes un jour sur deux préconisées par la hiérarchie... le syndicat rencontre l'adjointe au Maire, le sous-préfet, un responsable de l'ARS... et en désespoir de cause écrit au ministre en demandant à être reçu.
Sans résultat. Mais le pire était à venir.
En novembre 2023, l'EHPAD est placée sous administration provisoire. En cause, un déficit sur l'année de 2,5 millions d'euros, et une dette de 12,5 d’une dette de 12,5 millions d’euros… sans que ni le conseil d’administration, ni l’ARS n'ait rien vu venir. Seraient en cause le coût de la construction d'un nouveau lieu d’hébergement d’une part, et un « oubli », depuis un an et demi, de paiements au Groupement hospitalier du Havre, qui met du personnel à disposition (mais qui ne s’était aperçu de rien non plus).
L'administratrice nommée a le profil (conseillère en management) et la mission de redresser la situation … en sabrant dans les dépenses de personnel. Elle n'hésite pas à jouer l'intimidation vis à vis des représentants du personnel : trois élus sont convoqués pour “rappel à l'ordre”.
Suivant les préconisations de l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), 103 équivalents temps plein sur les 552 actuels, vont être supprimés, essentiellement par non renouvellement de contrats et retour à l'hôpital du personnel détaché. C'est énorme ! Le personnel est désemparé, et d'autant plus que la “normalisation” est en route : les postes vacants ne sont pas remplacés. On ne peut que s'inquiéter sur le sort des résidents : au-delà des suppressions de postes, il faut ajouter les arrêts-maladie du personnel épuisé, les burn-out ...et on peut aussi prévoir un impact sur la stabilité du personnel en souffrance.
Le ministre Valletoux, interpellé au Sénat le 7 mai, confirme que les réductions de dépenses sont nécessaires et que l'objectif est de se rapprocher des “ratios” (tel que définis par l'ANAP), tout en assurant bien sûr “la qualité et la sécurité des accompagnants”.
Le Havre ne serait-il pas le laboratoire d'une politique brutale vouée à être appliquée dans toute la France ?
Car le désastre financier n'est pas du, seulement, à une mauvaise gestion. Le problème est structurel.
Les coûts augmentent, mais les budgets ne suivent pas l'inflation ; les départements, qui financent l'aide sociale pour les résidents dont les ressources ne sont pas suffisantes, fixent un “taux directeur” qui limite la hausse que les établissements peuvent facturer.
Les budgets des départements sont très contraints et souvent, le taux directeur est inférieur au niveau requis pour maintenir un service inchangé. La moyenne des taux directeurs est de 3%, alors que l'inflation est à 5%.
Résultats : de nombreux EHPAD sont au bord de la faillite. Beaucoup risquent la fermeture ou le rachat par de grands groupes. D'après le site Capital : “Il y a quelques années, cette situation était rare. Aujourd’hui, ce sont les établissements en bonne santé financière qui deviennent presque l'exception. D’après les estimations de plusieurs fédérations, près de 80% des Ehpad publics et associatifs n’ont pas bouclé leur budget en 2022.”
Pour que l'EHPAD puisse accueillir des bénéficiaires de l'aide sociale, ils doivent passer des “contrats pluriannuel d’objectifs et de moyens” qui assurent l'équilibre de leur budget dans le cadre des moyens revus à la baisse. Pour que cet objectif soit financièrment tenable, c'est là que l'”Agence nationale d'appui à la performance” intervient en édictant des normes qui légitiment la maltraitance des résidents et du personnel.
Cette évolution s'inscrit dans l'apartheid social qui se met en place sous nos yeux en France. Ceux qui ont les moyens iront dans des établissements non conventionnés qui pourront fixer un prix de journée à leur convenance. Les autres n'auront le choix que d'accepter un service très dégradé.
Pourtant ….
Commençons par rappeler que le gouvernement n'a pas de politique réelle contre l'inflation.
L'Etat a les moyens d'aider le secteur ! Une étude de l'IRES-CGT a mis en évidence que 80 milliards permettraient une revalorisation des salaires dans tous les secteurs du soin et du lien tout en finançant le nombre d'embauches nécessaires. Et ce, sans creuser le déficit : 80 milliards, c'est la moitié des aides publiques accordées aux entreprises sans contreparties environnementales ou sociales ; c'est l'équivalent estimé de la fraude et de l'évasion fiscale ; celui du montant record des dividendes versés aux actionnaires en 2022.
Au Havre, un comité de soutien s'est créé pour alerter l'ensemble de la population. Mais il est important de comprendre que le problème, global, est de la responsabilité de tous les citoyens.
(Article également publié sur le site A travers la brume)
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