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Billet de blog 24 mars 2025

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Stratégies de Contrôle, Répression et Manipulation

Comment le régime algérien utilise la politique de « l’ennemi intérieur » pour maintenir son pouvoir

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Dans les régimes autoritaires, la stabilité du pouvoir ne repose pas sur le consentement libre des citoyens, mais sur la peur, la confusion et la fabrication d’un ennemi. L’Algérie contemporaine illustre tristement cette mécanique, notamment à travers l’exploitation systématique de la figure de « l’ennemi intérieur ». Cette figure permet au régime d’échapper à toute forme de remise en question en attribuant l’origine des crises à des complots fomentés par des traîtres, des opposants, des journalistes ou des militants prétendument manipulés par l’étranger. Ce schéma n’est pas nouveau : il s’inscrit dans une logique bien rodée de contrôle social, consolidée depuis les premières années de l’indépendance et réactivée avec une intensité redoublée à la faveur du soulèvement populaire du Hirak en 2019.

La stratégie repose sur une narration binaire et simpliste : d’un côté, un État présenté comme protecteur, patriote, garant de la souveraineté nationale ; de l’autre, des acteurs désignés comme dangereux, déloyaux, voire terroristes, cherchant à affaiblir la nation. Cette rhétorique permet non seulement de délégitimer les revendications sociales ou politiques, mais aussi de justifier l’appareil répressif. En 2021, Mohamed Abdellah, ancien gendarme ayant dénoncé la corruption au sein de l’institution militaire, a été extradé d’Espagne vers l’Algérie, où il a été immédiatement emprisonné. Malgré son statut de lanceur d’alerte, il a été accusé d’atteinte à la sûreté de l’État et d’intelligence avec des puissances étrangères. Dans le même registre, des journalistes comme Ihsane El Kadi ont été emprisonnés sur la base d’accusations absurdes de « financement étranger », simplement pour avoir donné la parole à des voix critiques.

Ce recours à l’accusation d’allégeance étrangère n’est pas anodin. Il sert à isoler les opposants, à les couper de leur base populaire en les présentant comme les agents d’un projet exogène. C’est une stratégie de délégitimation sociale et morale, qui transforme la victime en coupable.

Les militants des droits humains, les membres de partis politiques non autorisés, les exilés, sont tous potentiellement désignés comme traîtres. Le régime ne se contente pas de les discréditer, il cherche à les effacer symboliquement de la communauté nationale. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre dans les médias étatiques que ceux qui critiquent le pouvoir sont manipulés par le Maroc, par la France, par Israël, ou qu’ils cherchent à reproduire en Algérie les « scénarios libyen ou syrien ».

Cette instrumentalisation du complot n’est pas propre à l’Algérie. L’histoire regorge d’exemples où des régimes ont fabriqué des ennemis de l’intérieur pour renforcer leur pouvoir. En Union soviétique, Staline utilisait cette tactique pour éliminer ses rivaux lors des grandes purges des années 1930, accusant nombre de ses anciens camarades d’être des espions à la solde des puissances étrangères. En Allemagne nazie, Hitler désigna les juifs, les communistes et les francs-maçons comme responsables de la décadence nationale, justifiant ainsi l’instauration d’un régime totalitaire et l’exclusion violente de millions de citoyens. En Syrie, Bachar al-Assad a qualifié les manifestants pacifiques de 2011 de terroristes financés par l’étranger, justifiant la militarisation de la répression. Ces récits ont un point commun, ils transforment la peur collective en outil de soumission.

Le but de cette stratégie n’est donc pas seulement de punir les opposants, mais de créer un climat dans lequel toute dissidence devient suspecte. Il s’agit de casser les dynamiques collectives, de rendre la société incapable de s’organiser ou de s’exprimer librement. En propageant le doute, en entretenant l’ambiguïté sur qui est vraiment patriote et qui ne l’est pas, le régime algérien renforce son contrôle psychologique sur la population. Le citoyen finit par se méfier de son voisin, de son collègue, et même de lui-même. Dans un tel climat, la résistance devient plus difficile, car chacun est contraint à l’auto-censure pour survivre. C’est la logique du soupçon généralisé, où l’État détient le monopole de la vérité.

Les outils de cette manipulation sont multiples. L’appareil médiatique joue un rôle central, comme les chaînes publiques et les sites proches du pouvoir qui diffusent en boucle les discours sur les complots, les « ennemis de l’intérieur », les « agents de l’ombre ». Les réseaux sociaux sont inondés de fausses pages patriotiques qui ciblent les militants, les harcèlent, les accusent de trahison. L’arsenal juridique est également mobilisé, avec des lois floues sur la sécurité nationale permettant d’arrêter et de condamner sur la base de simples opinions ou publications en ligne. Des associations fictives, des ONG de façade, des think tanks pro-régime participent aussi à cette entreprise de brouillage, donnant un vernis pseudo-civil à la répression.

En somme, la figure de l’ennemi intérieur est un instrument de pouvoir redoutable. Elle permet de détourner l’attention des vraies responsabilités, corruption massive, impunité, échec économique, absence de libertés, tout en entretenant l’illusion que le danger vient de l’extérieur ou de supposés traîtres infiltrés. Cette manipulation, si elle n’est pas dénoncée et déconstruite, peut durablement empêcher la transition démocratique. Il est donc urgent de comprendre que ceux qui contestent, qui dénoncent, qui réclament justice, ne sont pas les ennemis de l’Algérie. Bien au contraire : ce sont ceux qui veulent la sauver de la dérive autoritaire dans laquelle elle s’enfonce.

Bien que le régime continue de marteler son discours sur l’ennemi intérieur, une large partie du peuple algérien ne s’y laisse plus prendre. Depuis le Hirak, la conscience politique s’est considérablement élargie, et beaucoup comprennent désormais que cette rhétorique sert avant tout à protéger les intérêts d’une élite au pouvoir. La majorité des Algériens, notamment les jeunes, les exilés, les activistes ou les citoyens connectés aux réseaux d’information alternatifs, rejettent massivement cette manipulation. Ce récit ne trouve encore un écho que chez une frange de la population souvent isolée, peu informée, coupée des débats publics et dépendante des chaînes officielles. C’est là que le régime concentre ses efforts de propagande, car il sait que l’ignorance est son dernier rempart. Mais même dans ces zones d’ombre, les failles apparaissent : les mensonges répétés finissent par s’user, et la réalité vécue au quotidien contredit de plus en plus les récits fabriqués d’en haut.

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