ExilConscient

Abonné·e de Mediapart

4 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 mars 2025

ExilConscient

Abonné·e de Mediapart

Boualem Sansal, une cause encombrante

Boualem Sansal a été arrêté non pour ce qu’il a fait mais pour ce qu’il a dit. Ou plutôt pour ce qu’il représente. Un intellectuel qui a osé une parole décalée dans un contexte de crispation géopolitique et mémorielle. Et soudain, la France se réveille. Des voix qu’on n’avait jamais entendues sur les détenus d’opinion algériens se mettent à protester.

ExilConscient

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Boualem Sansal est aujourd’hui en prison mais ce n’est pas un symbole qui rassemble. C’est un nom qui divise une affaire qui dérange un malaise qui remonte à la surface. Car Boualem Sansal, longtemps tenu à distance par les militants du Hirak, devient soudainement une figure de la liberté d’expression après avoir été perçu comme l’incarnation même d’une parole élitiste et ambiguë. L’écrivain, souvent silencieux sur la répression qui s’abat depuis 2019 sur les manifestants et les opposants, est devenu malgré lui une victime du système qu’il n’a jamais franchement dénoncé. Ce renversement crée un choc. Il oblige à repenser les lignes de fracture. Car désormais, même les intellectuels hors Hirak, ceux qu’on disait inoffensifs, ne sont plus à l’abri.

Le Hirak avait pourtant déjà mis à nu le système. Il avait brisé les illusions de réforme de façade et révélé la profondeur d’un appareil sécuritaire prêt à tout pour maintenir son autorité. Depuis 2019, des milliers d’arrestations, des procès absurdes, des lois taillées sur mesure pour faire taire ont jalonné le paysage politique. L’affaire Sansal n’est qu’un chapitre de plus dans cette histoire. Elle confirme que les revendications du Hirak sont toujours d’actualité que la machine de répression tourne encore à plein régime que la justice reste un instrument entre les mains du pouvoir.

Ce n’est pas seulement une opinion qui est punie aujourd’hui mais la capacité même d’exister en dehors de la ligne officielle. Comme dans tant d’autres affaires passées sous silence, Boualem Sansal a été arrêté non pour ce qu’il a fait mais pour ce qu’il a dit. Ou plutôt pour ce qu’il représente. Un intellectuel qui a osé une parole décalée dans un contexte de crispation géopolitique et mémorielle.

Et soudain, la France se réveille. Des voix qu’on n’avait jamais entendues sur les détenus d’opinion algériens se mettent à protester. Emmanuel Macron appelle à une décision humanitaire. Des écrivains s’enflamment. Des éditorialistes s’indignent. Il aura fallu que la répression touche un nom familier de la scène littéraire parisienne pour que la liberté d’expression en Algérie redevienne un sujet. Mais ce réveil tardif interroge. Où étaient ces voix quand Mohamed Abdellah a été expulsé vers la torture quand Azzouz Benhlima a été livré à la police politique quand les cellules d’isolement se remplissaient de jeunes militants arrêtés pour avoir filmé une manifestation ou posté une opinion sur Facebook?

Le régime algérien sait choisir ses cibles. En frappant Sansal il envoie un message vers l’extérieur. Il ne s’agit pas seulement d’une affaire judiciaire mais d’un coup politique. Au moment où les tensions avec la France s’enveniment où le Sahara occidental et la mémoire coloniale ravivent les blessures l’arrestation de Sansal devient une démonstration cynique. Regardez ce que nous pouvons faire. Même vos écrivains. Même vos amis. Même vos symboles.

Et à Paris la machine médiatique s’emballe mais reste aveugle. On parle de Sansal sans parler du Hirak. On parle de liberté sans évoquer l’article 87 bis cette arme juridique introduite en 1992 et utilisée aujourd’hui pour broyer toute forme de contestation. Cet article censé lutter contre le terrorisme est devenu le fourre-tout qui permet de condamner des poètes des syndicalistes des manifestants des journalistes. Il suffit d’une phrase mal interprétée d’un post de travers d’un slogan scandé dans la rue. La dérive est totale. Et pourtant ce cadre répressif est rarement expliqué rarement questionné dans les médias français qui préfèrent parler d’un “intellectuel victime” plutôt que d’un système autoritaire structuré durable.

Alors les militants s’énervent. Ils dénoncent une solidarité à géométrie variable. Ils voient défiler les hommages et les appels pour un homme qui ne les a jamais soutenus qui a souvent méprisé leurs combats qui a donné des interviews à l’extrême droite française qui a tenu des propos blessants sur l’histoire de leur pays. Et malgré cela ils défendent son droit à la parole. Non pas pour lui mais pour ce qu’il représente malgré lui. Car défendre Sansal c’est défendre un principe. Celui qui dit qu’aucune parole ne mérite la prison. Même celle qui dérange. Même celle qu’on n’aime pas.

Mais cette position de principe ne suffit pas à calmer la colère. Car en parallèle se joue un autre théâtre celui de la récupération. L’extrême droite française s’est emparée de l’affaire Sansal comme elle s’était emparée d’autres figures algériennes pour mieux nourrir son récit. Un récit qui oppose les civilisés aux barbares les lucides aux fanatiques. Sansal devient alors l’Algérien acceptable celui qui critique les siens celui qui valide le regard colonial. Comme Kamel Daoud avant lui comme Mohamed Sifaoui sur tous les plateaux les mêmes figures sont convoquées pour dire ce que l’extrême droite veut entendre. Et leur statut d’Algérien devient un alibi. Regardez, ils le disent eux-mêmes.

Ce mécanisme est connu il est huilé il est dangereux. Il permet à ceux qui n’ont jamais défendu les droits des Algériens de se donner le beau rôle. Il efface les luttes populaires. Il transforme une affaire politique en outil de guerre culturelle. Il jette un voile sur les exilés sur les familles sur les détenus anonymes qui n’ont ni tribune ni avocat ni soutien. Il instrumentalise la souffrance pour mieux légitimer la domination.

Et pendant ce temps les nostalgiques de l’Algérie française jubilent. Ils y voient la preuve que l’indépendance fut une erreur. Ils réécrivent l’histoire. L’Algérie sans la France serait condamnée à l’échec à l’autoritarisme à la violence. Ils n’attendaient que cela. Un écrivain arrêté un écrivain critique un écrivain qui leur ressemble un peu. Alors ils l’embrassent ils le défendent ils s’indignent. Mais jamais pour les bonnes raisons.

Face à cette récupération les militants refusent d’être des figurants. Leur combat ne sert ni le régime ni l’extrême droite. Leur combat est pour la liberté pour la dignité pour la justice. Ils refusent de choisir entre la dictature d’Alger et la condescendance de Paris. Ils veulent qu’on entende les voix du Hirak les voix des oubliés les voix de ceux qui n’ont pas de nom connu mais une cause juste.

Ils veulent reprendre la parole. Une parole qui ne soit pas choisie pour convenir mais portée par ceux qui vivent l’exil la prison la censure. Une parole algérienne qui ne soit pas confisquée par des figures compatibles ni utilisée pour régler des comptes coloniaux. Une parole qui dise enfin ce que beaucoup refusent d’entendre. Que l’Algérie est un peuple. Pas un décor. Pas un champ de bataille idéologique. Pas un outil de revanche historique.

Boualem Sansal est en prison. Mais ce qu’il révèle va bien au-delà de son cas. Il révèle une hypocrisie. Une injustice. Une fracture. Et peut-être aussi une opportunité. Celle de remettre le peuple algérien au centre de son propre récit. Sans héros imposé sans sauveur extérieur sans voix confisquée.

Illustration 1

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.