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Billet de blog 20 mars 2020

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Poésies virales

Insuffler, dans ce temps suspendu par le confinement, des bulles poétiques contagieuses

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sommes-nous confinés au cœur d’une rue silencieuse ? L’oiseau chantonne derrière les murs épais de l’enfermement. Des passants humains percent le voile du rien social. Subitement la voisine ouvre son portail. A-t-elle oublié le virus cette nuit ? La nuit l’a-t-elle décidé courageusement à braver sa peur ?
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L’horloge du temps, son cliquetis permanent. Le ronron sourd du frigo. Les objets aussi semblent nonchalamment en pause, suspendus aux mains humaines qui les ranimeront.
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Nos mains sont nos ennemis intégrés. Qu’avons-nous donc touché pendant nos dernières courses parmi d’autres âmes effrayées ? Ramenons-nous sans le savoir des particules invisibles contaminantes ? Pianoter sur le clavier du distributeur bancaire rapidement, furtivement comme si le virus pouvait être esquivé.
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Les instants successifs secoués par l’enfance. Le calme du travail, de l’écriture, de la patience, « il va falloir être patient », de l’accueil du virus comme une brèche possible, une ouverture néanmoins. Tandis que des morts s’accumulent en Italie. Là-bas, l’image sans mot des cercueils alignés, en attente. La mort attend sa cérémonie. Même la mort foudroyante est mise en attente - sidération. Jusqu’à ce que l’enfance pulse à nouveau dans ses élans d’innocence un cri ou une crise de pleurs. Le virus s’arrête. L’enfant doit être consolé, c’est tout.
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Des brèches de vie. Un WhatsApp’éro entrouvre nos boites à confinement. Un balcon. Deux salons. Un jardin. De l’humour. Les enchainements de soirées habituelles, avant le virus, n’allaient pas de soi. Être des solitudes rassemblées quand bon nous semble est un luxe que jusqu’ici nous ignorions. Jamais, presque jamais, s’embrasser, se toucher, se rapprocher ne fut suspect et balayé par l’injonction d’une distanciation sociale. Mise en pratique : croiser un joggeur connu sans oser s’arrêter, se jeter à la volée « une sortie qui fait du bien, hein ! ».
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Nos soignants applaudis à l’orée de la nuit avant que l’obscurité n’alourdisse définitivement, pour aujourd’hui, notre isolement. Applaudissons leur dévouement. Applaudissons-le ponctuellement, le temps du virus, applaudissons-le encore longtemps. Continuons à l’applaudir et le chérir pour ne pas l’oublier.
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La santé se compte en nombre de morts, non en nombre de lits. La santé se vit en isolement des uns pour tous les autres, en angoisse que la vie s’éteigne chez nos proches. En temps de crise, autour du noyau dur de la mort, l’essentiel fleurit à nouveau : accueillir le malade que nous serons tous demain.
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Nous sommes malades de la gestion, une maladie chronique insidieusement instillée dans nos pores, nous faisons avec, nous ne cherchons plus l’essentiel. Faisons de ce temps des morts un réveil vers l’essentiel : une vie n’équivaut pas au chiffre 1 car en chacun de nous résonne l’infini, le pluriel, la densité et l’épaisseur de mots aimés, de gestes destinés, de rencontres nouées, d’émotions éprouvées.

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