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Billet de blog 24 avril 2017

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François Fillon : une vengeance réussie ?

Une lecture alternative de la défaite de François Fillon

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François Fillon a-t-il vraiment perdu ? Tout pourrait le laisser penser, et le déchaînement de ses « amis » politiques, furieux d’avoir été éliminés par sa faute au premier tour d’une compétition jugée a priori imperdable, va évidemment s’amplifier dans les jours qui viennent, le précipitant sans pitié dans le pire des enfers, le néant politico-médiatique.

Oui, Les Républicains et leurs alliés ont perdu. Mais François Fillon a peut-être gagné. Tout porte à croire qu'il a mené à bien, au prix de ce que certains ont appelé, sans doute à juste titre, un long « chemin de croix », un projet familial multiséculaire : une vengeance, plat qui se mange froid, comme chacun sait.

Examinons les faits : François Fillon s’affiche depuis longtemps comme un catholique sincère, à la pratique toutefois irrégulière, comme il l’avoue à l’hebdomadaire La Vie en avril 2012. Point trop n’en faut : surtout, ne pas apparaître comme un bigot, pour ratisser large dans le vivier des électeurs qui fréquentent l’église avec plus ou moins d’assiduité. Ces derniers temps, le trait a été un peu forcé, avec l’appel entendu aux franges les plus radicales, représentées par le mouvement « Sens Commun ». Le candidat catholique, c’était donc Fillon.

« Etant donné un mur, que se passe-t-il derrière ? » demandait Jean Tardieu.

Etonnons-nous : comment un homme intelligent, habitué aux manœuvres d’un monde politique où règne le machiavélisme le plus tordu, a-t-il pu mener à bien, depuis des décennies, une carrière politique exemplaire, pour accumuler depuis février dernier tant d’erreurs grossières : approximations, contradictions, dénégations outragées suivies de déclarations de repentance? A-t-il pu imaginer un seul moment que la presse et  ses adversaires allaient gober sans broncher ses explications alambiquées ?

Et si tout ceci avait été voulu, pensé, organisé par lui-même ?

Mais pour quel motif ? Risquons une hypothèse.

Il nous faut pour cela remonter dans le temps, au milieu du XVIIIe siècle, dans le village de Moncoutant, actuellement situé dans les Deux-Sèvres. Le 9 novembre 1745, le pasteur Gounon marie François FILLON, de la paroisse de la Ronde, avec Louise PEQUIN, de la paroisse de Moncoutant. Les Fillon sont donc protestants. Mais la RPR (non, ce n’est pas encore un parti politique, c’est la Religion Prétendue Réformée) est hors-la-loi, et se pratique clandestinement. Un parent « prédicant », c'est-à-dire qui prononce des sermons sans être officiellement pasteur, est victime de la répression : Charles Fillon est tué à Moncoutant en 1747.

La famille gardera le souvenir de ce martyr, et cherchera à le venger. Comme beaucoup de protestants à l’époque, les Fillon vont être obligés d’abjurer, au moins publiquement, leur religion, et d’arborer un catholicisme de bon aloi. Mais certains signes, chez le candidat « malheureux » de la présidentielle, pourraient bien révéler une identité huguenote cachée.

Notons d’abord les prénoms : François, bien sûr, mais surtout Charles, son second prénom, et celui de son fils, qui rappelle le prédicant de Moncoutant.

François Fillon tombe ensuite amoureux d’une protestante anglicane, qui devra se convertir elle aussi pour pouvoir l’épouser, mais dont tout le monde a pu constater la difficulté à mentir, signe évident d’une éducation morale rigoureuse caractéristique de l’univers protestant. Elle ne bénéficiait pas, comme lui, d’un long entraînement à la dissimulation.

Le rapport à l’argent ensuite. On sait depuis Max Weber que capitalisme et protestantisme marchent d’un même pas, et que les protestants, accumulateurs, ont un rapport décomplexé à l’argent puisque la richesse est un signe de la bénédiction divine. Cependant ils n’en font pas un usage ostentatoire. François Fillon n’a pas pu s’empêcher de gagner de l’argent, mais il ne l’a pas montré. Il a gardé, sans doute par atavisme, cette image de sobriété un peu triste qui est habituellement l’apanage des protestants. Rien à voir avec le bling-bling d’un certain président. En même temps, il se faisait le promoteur d’un libéralisme économique exacerbé de type anglo-saxon.

Dans certaines circonstances, l’émotion aidant, le vieux fond ressort. C’est ainsi qu’à Nîmes, le 2 mars dernier, il s’exclame, lui, le catho bon teint : « Merci Nîmes, la ville des arènes, ville des huguenots, des camisards, ville de toutes les résistances… ». Peu importe que la bonne bourgeoisie protestante nîmoise ait à l’époque honni ces va-nu-pieds de camisards, considérés comme des provocateurs irresponsables. C’est le cri du cœur de quelqu’un qui retrouve l’image concrète des ses racines.

La vengeance va se construire en suivant le scénario du joueur de flûte de Hamelin. Celui-ci, furieux de ne pas avoir touché la rémunération promise pour avoir exterminé les rats de la ville, charme avec son instrument les enfants qu’il emmène en cortège et enferme à l’intérieur d’une montagne. On ne les reverra jamais.

Pendant des années, Fillon a charmé les catholiques et s’est forgé l’image du chevalier blanc. Puis, pour les conduire à la défaite, il a organisé la curée médiatique qui l’a déstabilisé dans l’opinion, tout en criant au complot du « cabinet noir ». Il faisait ainsi d’une pierre deux coups : il réduisait sa base électorale en l’amputant de sa frange libérale (peu complaisante à l’égard de l’intolérance, et donc pas visée par la vengeance), la ramenant ainsi dans les sondages autour de 18-20 % des intentions de vote, pour être sûr de ne pas gagner[1]. Il flattait le reste par des discours bien sentis, refusait obstinément les plans B que les ténors de son parti essayaient désespérément de mettre sur pied, se posait en victime balafrée de l’hostilité médiatique et judiciaire. Macron se prenait pour le Christ triomphant ; Fillon jouerait le Christ crucifié, image symboliquement forte chez les catholiques.

La mécanique a fonctionné à merveille. Certes, il a raté de peu la joie de passer derrière Mélenchon, mais l’essentiel est là : la bonne vieille droite catholique est allée dans le mur. Les jeunes loups de son parti versent des larmes de crocodile : la place est nette pour eux, ils ont le temps. Cinq ans, ce n’est pas si long. Mais le « catho-trado » est une valeur qui risque d’être démonétisée pour un bon moment.

Charles Fillon est vengé.

                                                                                          François Picard


[1] L’inconscient parlait parfois : ainsi, dans son discours de Clermont-Ferrand (le 7 avril), la référence à Vercingétorix, vainqueur de César à Gergovie, pourrait renvoyer à sa propre victoire aux primaires, et révéler son désir caché de défaite (Alésia)…

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