Voici ce que m'évoque la lecture de cette tribune de Ludivine Bantigny, à laquelle j'adhère quasi intégralement. Pourquoi "quasi" ? L'acuité du constat, la finesse de la critique et la radicalité de la dénonciation du système y cheminent, certes, mais sans jamais aborder ce qui hante pourtant tout projet de renversement d'un régime d'oppression : la mobilisation de la violence comme outil de résistance.
Il ne peut plus échapper à personne que le pouvoir capitaliste ne renonce à aucune agressivité pour décourager celles et ceux qui s'attaquent avec détermination à sa domination. Les éborgnements et mains arrachées de ces derniers mois en France en témoignent.
Violence physique des forces policières qui s'abat rageusement sur les manifestants donc, mais aussi violence institutionnelle qui se déploie à toutes les échelles, de l'exploitation du travail salarié ou auto-entrepreunarial, à la liquidation de la démocratie (Union Européenne constitutionnellement verrouillée, réduction des libertés collectives et individuelles, surveillance généralisée, maltraitance des migrants...).
Car en définitive, et comme l'avait anticipé K.Polanyi dès 1944 dans La Grande transformation, le capitalisme ne peut réaliser son projet intégralement, parfaitement, que sous une forme fasciste.
Cette forme radicale s'apprête à saillir, à la faveur de la pandémie, dans toute sa crudité, après avoir été partiellement dissimulée derrière le masque* hédoniste du consumérisme et du divertissement hypnotique.
Pour que le tableau soit complet, il faudrait ajouter la violence dévastatrice infligée aux écosystèmes et ses conséquences multiples...
Dès lors, face à ce "métafascisme" mondialisé, et en dépit de quelques disparités "culturelles" d'expression, seules deux alternatives s'offrent aux plèbes (elles aussi disparates) du monde. La résignation ou la lutte, par tous les moyens nécessaires. Les deux options sont envisageables et il serait bien présomptueux de dire laquelle des deux va l'emporter sur l'autre.
La résignation sera le plus souvent motivée par le souhait chimérique d'un retour à la normale, c'est-à-dire à la cécité volontaire. Quoi qu'il en coûte.
Or, si le coût en question ne sera probablement pas le même pour tous, il n'en demeure pas moins que la violence de l'effondrement social qui se profile est probablement sous-évaluée par la plupart des analyses. Et nombre de ceux qui se croient aujourd'hui à l'abri du choc seront violemment impactés : chômage, difficultés ou impossibilité d'honorer les factures quotidiennes, dysfonctionnements chroniques dans le secteur de l'alimentation ou du commerce, impossibilité pour les services publics -asphyxiés par une austérité budgétaire exacerbée, de jouer leur rôle d'amortisseurs...
Voilà quelques conséquences non-exhaustives du choix de la résignation.
Face à elle, l'alternative de la lutte. Le texte de Ludivine en évoque un certain nombre de formes, la plupart institutionnelles. La dimension physique se limitant à l'occupation de lieux.
Or, la violence policière étant constitutive de la violence institutionnelle, entreprendre de s'opposer à la seconde engage fatalement à se confronter à la première. Cette dimension est puissamment intimidante car "nous avons perdu la familiarité de ces enjeux, comme s’ils nous inquiétaient ou nous paralysaient", en effet.
Comme la plupart de ceux qui citent l'expérience zapatiste, Ludivine omet un aspect central et décisif de cette expérience : sa dimension militaire. La résistance n'y est donc pas uniquement auto-organisationnelle et librement "soustraite" à la coercition du système combattu. Elle y est armée. Conjointement.
Voilà qui a de quoi faire basculer instantanément certain(e)s volontaires du côté de la capitulation immédiate et sans condition.
Dans le contexte d'une France militairement pacifiée (du moins à l'intérieur de ses frontières) depuis presque un siècle, l'idée de lutte armée renvoie à des peurs traumatiques. Et elles sont justifiées. Elle se heurte également aux conditions de sa faisabilité matérielle: quand bien même les Gilets jaunes auraient-ils voulu s'équiper pour riposter efficacement aux attaques policières, comment et où auraient-ils pu le faire ?
Mais éluder la nécessité probable d'un recours à la violence auto-défensive, (voire offensive) nous condamne à réitérer "les occupations de places, les zones à défendre, Nuit debout, le soulèvement des gilets jaunes, les assemblées de lutte et de grève"... autant d'expériences dont il nous faut faire le bilan lucide. Certes, les débats ont été riches, la réflexion sur la démocratie à construire collectivement a été poussée, une réappropriation d'espaces autogérés a été, ça et là, arrachée...
Mais rien qui n'ait la magnitude adéquate pour s'opposer à la chape de plomb fascistoïde qui se prépare.
Toutes ces expériences n'ont pas été vaines pour autant. Elles ont été de formidables galops d'essai. Des entrainements à l'échelle locale de ce qui devra être étendu à une échelle...la plus globale possible, par le biais d' "alliances internationales". C'est l'autre dimension qui fait selon moi "défaut" à cette tribune.
Les associations, collectifs, syndicats, formations politiques qui souhaitent amplifier leur lutte contre ce capitalisme fascisant ne manquent pas en ce monde, et elles doivent dès à présent utiliser des outils communs d'échange et de communication. Exit Facebook, Twitter et autres Whatsapp. Ces outils doivent être impérativement clandestins et décentralisés. L'échange d'idées radicales et la construction de stratégies efficientes devront passer sous le radar de la surveillance GAFAMisée.
Cela suppose donc de définir les savoir-faire nécessaires et de compter toutes les forces disponibles. Le confinement y est propice.
Les slogans, les manifs présentielles ou distancielles (sic), et les appels à signature de pétitions qui finiront pour la plupart dans les limbes d'internet, l'hydre capitaliste s'en accommode parfaitement. Ces formes d'expression récurrentes et prévisibles ne l'inquiètent nullement.
Puisque le pouvoir totalitaire dénie l'oppression policière et institutionnelle qu'il exerce à notre égard, feignons à notre tour d'en accepter un temps l'arbitraire.
Concentrons nos forces là où elles sont nécessaires et susceptibles d'atteindre les objectifs qui auront été définis.
Prenons le temps d'élaborer nos stratégies, souterrainement.