Dans ce texte de Ludivine, l'acuité du constat, la finesse de la critique et la radicalité de la dénonciation du système cheminaient. Pourtant, il y manquait ce qui hante tout projet de renversement d'un régime d'oppression : la question de la mobilisation de la violence comme moyen de résistance.
Car il ne peut plus échapper à personne que le pouvoir capitaliste ne renonce plus à aucune brutalité pour décourager celles et ceux qui s'attaquent avec détermination à sa domination. En témoignent les éborgnements, les mains arrachées et autres agressions policières (sans parler des exécutions sommaires qui se multiplient : en France, 52 décès liés à une intervention policière en 2024).
Violence physique des forces policières qui s'abat rageusement à chaque mouvement social donc, mais aussi violence institutionnelle qui se déploie à toutes les échelles, de l'exploitation du travail salarié ou autoentrepreunarial, à la liquidation de la démocratie (Union Européenne constitutionnellement verrouillée, réduction des libertés collectives et individuelles, surveillance généralisée, maltraitance des migrants...).
En définitive, et comme l'avait anticipé K.Polanyi dès 1944 dans La Grande Transformation, "la société de marché" ne peut se réaliser intégralement que sous une forme fasciste. Sous Macron, cette forme achevée et radicale apparaît dans toute sa crudité.
Pour que le tableau soit complet, il faudrait également ajouter la violence dévastatrice infligée aux écosystèmes et ses conséquences sociales et sanitaires multiples...
Débarrassé du masque hédoniste du consumérisme joyeux et du divertissement hypnotique, le capitalisme parachevé se révèle donc pour ce qu'il est fondamentalement : un régime d'oppression violent et impitoyable au service d'une classe sociale parasite. Et ses moyens d'assoir et de renforcer indéfiniment ses privilèges sont sans limites.
Dès lors, face à ce "métafascisme" de plus en plus mondialisé, et en dépit de quelques disparités "culturelles" d'expression, seules deux options s'offrent aux plèbes (elles aussi disparates) du monde. La résignation ou la lutte, par tous les moyens nécessaires.
La résignation sera le plus souvent motivée par le souhait chimérique d'un retour "à la normale", c'est-à-dire à la cécité volontaire. Quoi qu'il en coûte.
Or, si le coût en question ne sera probablement pas le même pour tous, il n'en demeure pas moins que la violence de l'effondrement social en cours est probablement sous-évaluée par la plupart des analyses. Et nombre de ceux qui se croient aujourd'hui à l'abri du choc seront néanmoins incontestablement impactés : chômage, difficultés ou impossibilité d'honorer les factures quotidiennes, dysfonctionnements chroniques dans le secteur de l'alimentation ou du commerce, impossibilité pour les services publics -asphyxiés par une austérité budgétaire exacerbée, de jouer leur rôle d'amortisseurs...
Voilà quelques conséquences non-exhaustives du choix de la résignation.
Face à elle, l'alternative de la lutte. Le texte de Ludivine en évoquait un certain nombre de formes, la plupart institutionnelles. La dimension physique se limitant à l'occupation de lieux.
Or, la violence policière étant constitutive de la violence institutionnelle, entreprendre de s'opposer à la seconde engage fatalement à se confronter à la première. Cette dimension est puissamment intimidante car, comme le rappelait fort justement Ludivine, "nous avons perdu la familiarité de ces enjeux, comme s’ils nous inquiétaient ou nous paralysaient".
En citant l'expérience zapatiste, Ludivine en omettait un aspect central et décisif : sa dimension militaire. La résistance n'y est donc pas uniquement auto-organisationnelle et librement "soustraite" à la coercition du système combattu. Elle y est armée. Conjointement.
Voilà qui a de quoi faire basculer instantanément certain(e)s volontaires du côté de la capitulation immédiate et sans condition.
Dans le contexte d'une France militairement pacifiée (du moins à l'intérieur de ses frontières) depuis presque un siècle, l'idée de lutte armée renvoie à des peurs traumatiques. Et elles sont justifiées. Elle se heurte également aux conditions de sa faisabilité matérielle. Ainsi, quand bien même les Gilets jaunes (pour évoquer l'expérience d'une révolte significative de ces dernières décennies en France) auraient-ils voulu s'équiper pour se défendre et riposter efficacement aux agressions et brutalités policières, comment et où auraient-ils pu le faire ?
Mais éluder l'option d'un recours à la violence auto-défensive nous condamne à réitérer "les occupations de places, les zones à défendre, Nuit debout, le soulèvement des gilets jaunes, les assemblées de lutte et de grève" prônées par Ludivine. Expériences dont il nous faut faire le bilan lucide. Certes, les débats ont été riches, la réflexion sur la démocratie à construire collectivement a été poussée, une réappropriation d'espaces autogérés a été, ça et là, arrachée...
Mais rien n'a eu la magnitude adéquate pour ralentir la chape de plomb néofasciste en cours de déploiement. Malgré le courage et l'engagement physique de dizaine de milliers de citoyens, toutes ces expériences récentes se sont soldées par des échecs politiques et sociaux.
Le pouvoir en place de cèdera rien aux manifestations formatées. Et il dispose d'une police qui a carte blanche pour nous terroriser et donner un goût durablement amer à nos revendications.
Toutes les expériences citées n'ont pas été vaines pour autant. Elles ont été de formidables galops d'essai. Des entrainements à l'échelle locale de ce qui pourrait potentiellement être étendu à une échelle...la plus globale possible, notamment par le biais d' "alliances internationales". C'est l'autre dimension qui faisait selon moi "défaut" à la tribune de Ludivine. Les associations, collectifs, syndicats, formations politiques qui souhaitent amplifier leur lutte contre ce capitalisme fascisant ne manquent pas en ce monde, et elles doivent utiliser des outils communs d'échange et de communication afin de partager leurs stratégies de résistance. Exit Facebook, X et autres Whatsapp. Les outils mobilisés doivent être impérativement décentralisés et passer sous le radar de la surveillance et du contrôle GAFAMisé.
Prenons donc le temps d'élaborer nos stratégies souterrainement.
Les slogans, les manifs formatées, les appels à signature de pétitions et les occupations passives, l'hydre capitaliste s'en accommode parfaitement. Ces formes d'expression récurrentes et prévisibles ne l'inquiètent aucunement. Alors contre son pouvoir, mobilisons l'imagination.
Tribunes dont je vous recommande la lecture :
https://blogs.mediapart.fr/les-soulevements-de-la-terre/blog/250825/10-septembre-tout-bloquer-et-bien-viser
https://blogs.mediapart.fr/loffensive/blog/280725/10-septembre-auto-organisation